Ce que la création de visual novel m’a appris

Aujourd’hui j’aimerais revenir sur les différents jeux de l’équipe pour en commenter la progression.

En effet, même si cela a tendance à changer avec la multiplication des accès anticipés, on ne touche souvent qu’à la version finale d’un jeu, c’est-à-dire à sa version la plus complète et la plus aboutie. Un joueur lambda aura donc l’impression qu’une certaine force magique est à l’œuvre, que les différents éléments du jeu se sont combinés grâce à une pierre d’évolution pour se transformer en une œuvre d’art. La réalité est nettement moins glamour mais aussi infiniment plus rassurante : la création ça s’apprend et il faudra un sacré paquet de temps avant d’arriver à un résultat. La mauvaise nouvelle c’est que ça implique énormément de travail, la bonne nouvelle c’est que n’importe qui peut se lancer dans l’aventure. La Träumendes Mädchen ne fait pas exception à la règle et c’est d’autant plus vrai pour moi, puisque j’ai le rôle de chef de projet. Ces bientôt trois ans au contact de mes coéquipiers m’auront appris une quantité assez impressionnante de choses, notamment en programmation, et j’aimerais donc en dresser le bilan.

 

Juin 2012 : Being Beauteous

Un des premiers essais de Morsy. Elle a diablement progressé depuis!

A ce moment là, l’équipe était déjà formée autour de Milk et pataugeait sévèrement dans la semoule. J’avais conscience de brûler les étapes en attaquant d’emblée un projet aussi gros et cherchait à me rattraper avec une idée courte, est donc née la première version de Being Beauteous, prévue comme participation au concours de visual novel de No-Xice. Même s’il ne payait pas de mine, BB a une place toute particulière dans mon cœur puisqu’il s’agit de notre premier projet achevé (ce qui avait bien boosté notre moral). Si le cœur du jeu est assez simple (du texte et une poignée de CGs), la création d’une interface personnalisée nous avait donné maille à retordre durant la compétition et ce n’est qu’avec la seconde version (la toute première téléchargeable) que nous avions réussi à maîtriser ce point. Nous avions aussi doucement réalisé l’importance de disposer d’une traduction pour partager notre œuvre avec les nombreux lecteurs de Lemmasoft et d’ailleurs.

Apprentissage : finir un projet, coder une interface sans bug, comprendre l’importance d’une traduction anglaise.

 

Février 2013 : Premier épisode de Milk

Un autre essai de Morsy pour Milk, ces variations n’ont finalement jamais été intégrées.

L’accouchement du premier épisode de Milk était à l’époque un véritable calvaire puisque nous avions mis près d’un an pour en voir le bout. Il faut dire qu’il y avait beaucoup de contenu à gérer pour une équipe aussi jeune et que j’ai vite compris qu’il nous serait impossible de réaliser l’intégralité du jeu prévu à l’origine en un seul morceau. D’où le choix de faire de la démo un premier épisode. Ca a également été l’occasion pour moi de vraiment me familiariser avec Renpy, de choisir une police personnalisée et de jongler entre les nombreux personnages aux nombreuses expressions. La présentation de Milk était vraiment simple et il y avait vraiment beaucoup de maladresses mais je pense que c’était un passage obligé pour la suite. La plupart des erreurs ont été corrigées (l’interface) ou sont en attente de correction depuis (*tousse* le scénario). A noter que cette fois-ci, nous avions opté pour sortir le visual novel à la fois en français et en anglais, non sans douleur.

Apprentissage : écrire un visual novel, finir un plus gros projet (sans mourir), dessiner une interface, traduction anglaise simultanée, gérer les sprites et expressions.

 

Avril 2013 : Ambre

On comprend mieux pourquoi l’illustration du jeu est de Melow et pas de moi 8)

Une fois la sortie du premier épisode derrière nous, je voulais absolument me frotter au défi de tous les créateurs de visual novel : le Nanoreno. Ce n’était pas vraiment un défi technique pour moi puisqu’il s’agissait, une fois de plus, d’une œuvre très linéaire. Certes, la limite de temps imparti faisait partie du jeu mais le visual novel était à mon sens pensé pour ne pas être trop gourmand. Non, le vrai défi pour moi c’était d’arriver à écrire une histoire courte avec une sorte de chute, un élément marquant. Et même si le résultat est loin d’être parfait, je suis relativement satisfaite de ma production, je pense que l’effet voulu est là. Ambre aura également l’occasion de faire des progrès en matière d’interface et d’inclure pour la première fois une touche d’animation (non, le logo qui tourne de Milk ne compte pas) avec la scène des pétales de fleurs et la tentative des feuilles mortes. Des éléments que l’on retrouvera immédiatement après.

Apprentissage : écrire un visual novel en prenant en compte les limites de ressources, finir un projet vite, dessiner une belle interface, écrire une histoire courte disposant d’une chute, participer à un évènement.

 

Mars 2014 : Deuxième épisode de Milk

Un très joli croquis d’Elairin

Il nous aura fallu un peu moins d’un an une fois encore mais pour des raisons très différentes, notamment les changements dans l’équipe. Ce deuxième épisode aura surtout servi à entériner les acquis du premier. Beaucoup de projets ne dépassent jamais le stade de la démo, sortir une nouvelle partie de l’histoire était donc en soi un symbole, il était question de prouver que nous comptions persévérer. Nous en avions profité pour remplacer l’interface par une nouvelle (une tâche plus ardue qu’on ne l’imagine !) et intégrer des décors animés pour la toute première fois. Certes, il n’y en avait que 2 ou 3, mais c’était une manière de se familiariser doucement avec le processus.

Apprentissage : continuer un projet entamé, inclure des décors animés, renouveler une équipe

 

Avril 2014 : HVNCML

Premiers essais d’interface de Xian

Une fois encore, je voulais tenter le Nanoreno, et une fois encore la production de Milk a tardé. Si en 2013, nous étions parvenus à finir in extremis deux semaines avant le début du concours, cette seconde tentative a été bien plus laborieuse puisque l’épisode est sorti en plein milieu ! Difficile dans ces conditions d’assurer. C’est après une bonne semaine de retard qu’HVNCML a vu le jour. Je n’ai écrit aucun bilan du jeu parce que j’estime que le jeu lui-même est une espèce de bilan de notre parcours, présenté sous un angle humoristique bien sûr. A ce moment-là, HVNCML était notre premier défi purement technique puisque l’objectif plus ou moins avoué du projet était de tenter une interface de type « IRC » sans qu’il y ait forcément de but prévu à son utilisation. Sauf si on considère que rendre publique une partie, même infime, de sa vie à tout lecteur potentiel représente un défi supplémentaire. Et d’une certaine manière…c’est vrai. Le visual novel était planifié comme un bonus rigolo pour les fans qui se demandaient ce qu’on pouvait bien faire en réunion ou au quotidien, pourtant plusieurs personnes l’ont essayé sans rien savoir de la TM. C’est assez embarrassant, un peu comme si on se mettait à nu devant des étrangers. La démarche supposait donc une réelle relation de confiance avec le public.

Apprentissage : jongler entre plusieurs projets en même temps, tester une interface de type « IRC », révéler à la face du monde sa stupidité

 

Juillet 2014/Septembre 2014 : Troisième épisode de Milk

La marque de fabrique d’Orties : écrire n’importe quoi sur ses dessins :p

Le troisième épisode de Milk fait vraiment figure d’exception à l’échelle de tous nos travaux sur un point crucial : c’est le seul jeu qui est sorti « facilement ». C’est-à-dire que nous n’avons éprouvé aucune difficulté particulière à le produire (si on omet un petit couac au niveau de la traduction anglaise qui n’était pas prête tout de suite). Si tout pouvait se passer comme ça, la création serait vraiment trop facile XD. C’est d’autant plus surprenant quand on prend en compte la pression qui pesait sur nous dans la mesure où nous avions promis l’épisode aux acheteurs de la Japan Expo. Le troisième épisode aura aussi été l’occasion de généraliser l’animation à tous les décors pouvant convenir.

Apprentissage : tenir un délai non négociable, généralisation de l’animation sur les décors, sortir un jeu de manière décontractée

 

Août 2014 : Garden of Oblivion

Une métaphore du Ludum Dare relativement juste…

Dans la lignée débutée par HVNCML, Garden of Oblivion était pensé comme un défi technique : il s’agissait de délaisser le visual novel traditionnel pour inclure des éléments « point & click ». Le tout dans un délai bien plus resserré que le Nanoreno (qui paraît une balade de santé en comparaison). Si la partie graphique était irréprochable, l’expérience au niveau de la programmation aura été sauvage. La première version rendue dans les temps ne correspondait absolument pas à ce qui était voulu et il faudra ajouter une semaine de labeur pour y parvenir avec la seconde version. L’autre défi était pour moi d’écrire directement en anglais et avec un minimum de préparation pour coller le plus possible à l’esprit gamejam. Le résultat est sur ce point plus que mitigé et j’estime que j’aurais pu faire mieux. Au moins j’aurais réussi à inclure davantage de diversité dans mes personnages, ce qui est un bon début. Reste que l’expérience communautaire était à la hauteur ! Le Ludum Dare est réellement un rassemblement gigantesque qui permet de tisser des liens.

Apprentissage : écrire directement en anglais, participer à un évènement encore plus connu, apprendre à programmer sur le tas, réaliser un hybride VN/P&C, découvrir les joies du polissage, inclure plus de diversité dans les personnages

 

Printemps 2015 (?) : Quatrième épisode de Milk

Orties aime décidément beaucoup écrire sur ses dessins…

Si le quatrième épisode de Milk n’est pas encore sorti, il est en tout cas suffisamment proche de l’être pour en tirer des conclusions. Je pense que c’est vraiment à partir de là que je commence à vraiment me sentir à l’aise avec RenPy au point où je prends maintenant plaisir à farfouiller dans le script pour améliorer ce que je peux. Cela n’aurait jamais été possible sans la prise en main progressive du moteur, projet après projet, et l’aide de Keul. La conséquence immédiate c’est que le quatrième épisode regorge de modifications : ajustement de la luminosité dans les scènes de nuit, ajustement de la taille des sprites non-humains, ajustement de la police pour plus de lisibilité, ajustement de certaines transitions pour ajouter plus de dynamisme, ajustement des effets sonores pour renforcer le plus possible l’immersion dans la scène, légères animations sur les illustrations évènementielles ou des décors. C’est donc actuellement ce dont je suis la plus fière et j’ose espérer que ces menus gadgets rendront l’expérience de lecture plus intéressante, à défaut d’autre chose. J’ai aussi commencé à demander aux artistes des présentations différentes des illustrations (objet par-dessus le décor, chibi sous forme d’encart, CG coupé en deux par l’écran, CG possédant plusieurs variations).

Apprentissage : maîtrise relative de RenPy, passer son temps à faire des modifications mineures que personne ne remarquera jamais, maîtrise l’intégration des effets sonores, expérimentations en termes de présentation.

 

Avril 2015 (?) : Ludum Dare 2

Le jeu n’ayant pas été commencé pour des raisons de logique, voici une scène de l’épisode 4 de Milk.

Vu que nous prévoyons de tenter le Ludum Dare une nouvelle fois, cette partie sera plus tournée vers l’anticipation puisque rien n’a encore été commencé ! Mon principal objectif est d’arriver à sortir de la linéarité qui caractérise tous nos projets jusqu’à présent. La gestion des choix est en effet très compliquée à intégrer à une histoire et mon passif en littérature fait que j’ai effectivement du mal à écrire de manière plus éclatée. C’est un défi d’autant plus ambitieux que le délai de création va être extrêmement limité mais je vais essayer de m’y tenir, quitte à sortir une version améliorée du jeu après le concours. L’autre objectif est de sortir de ma zone de confort en termes d’écriture en abordant des thèmes qui me sont chers de manière plus…frontale. En effet, tous mes travaux abordent plus ou moins le rapport que nous avons à la normalité pour le remettre en question mais ce n’est souvent expliqué qu’à demi-mots. Je veux aller plus loin et me contraindre à finalement ne plus me censurer autant. Dans cette même optique, je souhaite mettre en scène des personnages différents de d’habitude et sous-représentés. Dont les handicapés. Du reste, je compte me baser sur tout ce que j’ai appris des autres travaux de l’équipe pour faire de ce projet un jeu dont je serais fière. On va voir si ce sera réussi ou non !

Apprentissage prévu : mis à profit de tous les acquis précédemment cités, écrire un visual novel véritablement interactif avec de nombreux embranchements, faire de la diversité une composante essentielle du cast, arriver à ne pas s’autocensurer, maîtriser Reny suffisamment pour ne pas trop galérer…faire un bon jeu ?

 

Conclusion

J’avais juste envie de vous montrer un autre bout de l’Episode 4 de Milk.

Ce que montre ce petit tour d’horizon, c’est qu’il faut du temps à un individu (comme à une équipe) pour gagner en assurance et en compétences. Du temps pour se tromper, pour rectifier ses erreurs, pour acquérir un certain nombre de réflexes, pour être en mesure d’expérimenter et de déterminer où on veut aller et comment. Je n’aurais jamais imaginé prévoir le projet du prochain Ludum Dare il y a quelques années, ni même me sentir capable de le réaliser. C’est au prisme de cette démarche (par itérations successives) que les conseils des professionnels prennent tout leur sens : essayez toujours de multiplier les projets courts avant de vous lancer dans « le jeu de vos rêves ».

Chacun apprend à son propre rythme mais personne n’est capable de réaliser des miracles sans aucune expérience. Les difficultés de certains Kickstarter de visual novel sont, sur ce point, particulièrement éclairantes : quasiment tous les projets conçus par des personnes inexpérimentées (celles qui vantent leur campagne comme tant leur tout premier visual novel notamment) éprouvent de grandes difficultés à maintenir leurs promesses. De même, les successeurs spirituels de Katawa Shoujo ont quasiment tous disparus et les rares survivants sont encore bloqués au stade de la démo.

Moralité : Ne brûlez pas les étapes, commencez petit. Attendez de vous sentir prêts avant de passer à la vitesse supérieure, cela ne pourra que vous être bénéfique ;).

Perspectives pour 2015

Suite au bilan 2014, qui faisait état d’une année bien mouvementée, la Träumendes Mädchen ne compte évidemment pas s’arrêter là. Alors, quel programme pour 2015 ?

(Pour fêter la fin de l’année dignement, voici pleins de fanarts!)

Une adorable Freyja (par Melow)

Déjà, ralentir la cadence X). Je pense qu’il n’est pas bon de publier quatre jeux par an, non seulement ça entraîne des attentes irréalistes mais en plus ça pousse à épuiser ses coéquipiers. On pourra de toute façon difficilement battre un tel record de productivité et je ne veux pas que quelqu’un se noie dans sa tasse de café (même si ce serait une mort adéquate à notre train de vie).

On va donc rester dans le très classique : la priorité est d’abord de finir l’Episode 4 de Milk. Si le travail côté sprites et chibis est quasiment terminé et que j’ai bon espoir de venir à bout des CGs (quelle idée d’écrire des scènes d’action), je m’inquiète déjà plus pour les décors. En effet, les artistes à même de s’y frotter ne sont pas légion et il nous manque encore la phase de colorisation. Ce serait rageant d’être bloqué pour si peu alors j’espère que la chance nous sourira à nouveau ! L’Episode 4 devrait de toute façon est prêt au cours de l’année 2015. Reste à voir si ce sera plus vers le début ou vers la fin…

Aluwo en mode bisho (toujours par Melow)

Ceci étant dit, j’ai quand-même envie de sortir un dernier projet court dans les mois qui vont suivre. En effet, une idée particulière me taraude (écrire enfin une œuvre avec beaucoup de choix…et des choix moraux) et je voudrais pouvoir la réaliser. J’hésite donc à entraîner la Träumendes Mädchen à participer au prochain Ludum Dare. Inutile de dire que si nous prenons part à une game jam en avril, il n’y aura pas de Nanoreno en mars cette année. Bref, à suivre…

Certains d’entre vous nous demanderont sûrement si nous comptons retourner à la Japan Expo pour l’édition 2015. Eh bien, la réponse dépendra en partie de vous. La Träumendes Mädcen reste toujours une équipe de création amateur, en conséquent nous n’avons pas un budget mirobolant et nous prenons en charge les frais de déplacement/hébergement sur nos deniers personnels. Nous sommes avant tout motivés par la passion et nous voulons être sûrs de vous faire plaisir (si, si). Je vais donc faire circuler un sondage dans les jours qui suivent afin de savoir s’il y a des fans intéressés par les copies physiques de l’édition 2014 (pour en réimprimer au besoin) et par de potentielles nouvelles marchandises. Selon vos réponses (et le nombre de réponses), nous y verrons plus clair. Le déroulement des opérations dépend de vous alors nous comptons sur votre participation !

Au-delà de la Japan Expo, il est raisonnable d’espérer avancer avec l’Episode 5 de Milk. J’espère qu’il sera prêt avant la fin de l’année car, vraiment, il devient urgent de terminer la route commune et de passer à autre chose. Ou alors on sera encore à produire le reste de l’histoire dans 10 ans, ce qui ne me séduit guère =(.

Miruku (par Clua *_*)

 2015 sera plus calme…peut-être ?

En conclusion, 2015 devrait être moins chargé que 2014…devrait. Car, comme je le disais, nous ne somme jamais à l’abri de surprises ~ Vous me connaissez, je ne peux pas m’en empêcher.

2014, une année sportive

Pour conclure 2014, voici un bilan de nos activités (sur le modèle du billet fait en janvier dernier).

Pour commencer, il y a eu la sortie de l’Episode 2 de Milk ~La légende des étoiles à la mi-mars. Une sortie un peu trop précipitée à mon goût, il faut dire que nous étions en retard vis-à-vis de mes estimations et qu’il a fallu expédier le jeu pour attaquer la suite du planning. Ce qui est dommage et je compte bien ne pas répéter cette erreur.

Savane

La bonne nouvelle c’est qu’avec l’Episode 2, Milk se dirigeait enfin officiellement vers l’arc de Khzi, un passage que j’ai eu énormément plaisir à écrire et qui contraste énormément avec la première partie. Les vaches et Tarô ne sont plus là que de manière secondaire pour ponctuer un long récit qui fait la part belle à l’extraterrestre déjantée. Je pense que Khzi a tout ce qu’il faut pour être populaire, et les différents retours que j’ai eus m’ont plutôt confirmé cette impression. Freyja a l’air d’avoir des fans aussi, ça m’amuse beaucoup XD.

Milk 003L’élément important de cette sortie a surtout été la transition vers l’équipe actuelle (qui a engrangé de l’expérience au cours du voyage) et donc encore une différence graphique notable mais nous y remédierons en temps voulu. Le style actuel devrait rester au moins quelques temps même si nous ne sommes jamais à l’abri d’imprévus…

Le mois de mars étant également le mois du Nanoreno, je suis passée de Milk à How Visual Novel Changed My Life, sorti en avril, sans aucune transition. Le travail des artistes étant relativement limité justement pour leur éviter le burnout, l’essentiel du jeu se basait sur le texte et la programmation. Ce qui s’est révélé un vrai cauchemar… Débordée, il m’aura fallu empiéter allègrement sur mes journées de stage pour que le script soit prêt à temps (avec la traduction, tant qu’à faire). Le tout avec l’appui d’un Keul encore plus imprévisible que d’habitude. J’ai morflé sec, ce qui explique les quelques jours de retard du projet qui n’avait pourtant été pensé que comme un petit bonus sympa pour faire plaisir aux fans. Ca m’apprendra à faire trop de choses à la fois, tiens =’D.

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Puisque HVNCML était juste un truc gentillet sans grande prétention, je ne m’attendais pas à grand-chose. Des mois plus tard, je suis donc très surprise de voir des gens qui découvrent nos jeux par ce biais, j’ose espérer qu’ils ne sont pas partis en courant à cause de cela XD.

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Deux sorties en un an aurait déjà été très honorable, sauf qu’on ne s’arrête décidément jamais. Le projet top secret de la mort qui tue de l’année était bien sûr notre venue à la Japan Expo. Je ne vais pas le cacher, c’est surtout la faute des trublions d’Endless Seasons à l’enthousiasme communicatif qui voulaient se trouver des camarades de stand :p. Au final le Projet Saya s’en est mêlé en proposant de superviser et on a réussi à traîner Atelier Dreamnoid dans le délire. La préparation en amont a été conséquente, personne du côté orga ne voulant laisser les choses au hasard, et il a fallu sonder les participants à de nombreuses reprises pour s’accorder parfaitement. Au rang des éléments que la Träumendes Mädchen devait présenter, avec le poids non négligeable de la campagne de financement participatif sur nos épaules, il y avait bien sûr la finition de l’Episode 3 déjà bien entamé et les marchandises. Les remakes sont très vite venus s’ajouter avec la réussite du premier but additionnel, la pression était donc au rendez-vous. Mais grâce, notamment à la fulgurance d’Orties, notre dernière recrue supersonique, et de Melow, qui ont produit à elles deux la majorité des illustrations pour les remakes et les marchandises, nous avons pu tout finir à temps.

Au final, l’expérience aura été très enrichissante. Pour une première expérience en convention, je pense que la Träumendes Mädchen ne s’en est pas trop mal sorti et ce fut de toute façon un plaisir que de se rencontrer IRL et de passer du bon temps en compagnie de nos camarades développeurs.

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Encore une fois, ça aurait pu/dû être suffisant et il a fallu qu’on se rajoute du travail =’D. La fin de l’été aura été l’occasion d’entamer des gros travaux de webdesign. L’ancien devblog seul ne suffisait plus, nous voulions une vraie vitrine et pas juste une page bricolée à l’arrache. Le tout en bilingue car nous avions l’impression de ne pas pouvoir s’adresser à notre public de manière vraiment pratique. Le résultat n’est pas encore parfait mais c’est déjà un bon début !

title screenCerise sur le gâteau, nous nous sommes lancés dans une nouvelle game jam : le Ludum Dare. Un défi encore plus corsé que le Nanoreno avec une communauté très différente, ça promettait beaucoup de caféine et peu de sommeil. Si de nombreuses difficultés ont rendues l’expérience particulièrement douloureuses de mon côté (je suis une grosse masochiste, il faut croire XD), l’équipe a réussi à relever le dit défi. Evidemment, il était difficile de proposer une expérience profonde en un weekend mais Garden of Oblivion, sorti fin août début septembre, nous aura permis de nous frotter à la conception d’un jeu vidéo (il est uniquement disponible en anglais, par contre). Certes, nous nous sommes quand-même pas mal appuyés sur notre connaissance du visual novel et le résultat reste dans la même veine, mais nous y avons énormément appris.

Le reste de l’anné (soit plus grand-chose) a été dévolu à l’avancement de l’Episode 4 de Milk et à diverses petites sorties : version dématérialisée des jeux de la Japan Expo, la sortie de l’OST réarrangée de Being Beauteous par Roganis, loterie, etc.

En conclusion, le planning que j’avais en tête pour 2014 était très chargé et c’est au prix de beaucoup d’énergie que l’équipe a réussi à le tenir avec brio. Un exploit dont je ne suis pas peu fière mais qu’il ne s’agit pas de reproduire si je veux que mes adorables coéquipiers ne meurent pas brutalement de fatigue…

Je vous donne rendez-vous début janvier pour révéler notre programme pour 2015 (que j’espère tout aussi surprenant) et en attendant je vous souhaite un joyeux Noël en compagnie de cette charmante Miruku festive dessinée par Melow ;).

Bilan 2013 & perspectives 2014

Bonne année à tous nos lecteurs ! Comme promis, j’essaye de reprendre un peu la main sur le devblog qui a été assez négligé ces derniers temps (et réveillé par un pavé) avec des informations un peu plus croustillantes que « On avance ». Je profite donc de ce changement d’année pour faire un petit bilan de ce que 2013 nous a apporté et ce que nous prévoyons pour 2014.

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2013 ~ démarrage en côte

Après une année 2012 essentiellement consacrée à la fondation progressive de l’équipe et à sa mise en place laborieuse avec l’essentiel du temps passé à la production de Milk, sans compter la la participation au concours visual novel de No-Xice comme petit échauffement, il devenait urgent de proposer du concret. C’est donc avec un énorme soulagement que nous avons réussi à sortir le premier épisode de Milk en février.

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Le menu principal de Milk avec l’ancienne interface.

Le visual novel que j’avais en tête avait tout du projet suicidaire : scénario immensément long et gourmand en graphismes, organisation à l’aveugle dans un premier temps, recrutement réalisé encore trop en amont, erreurs de débutants récurrentes, bref, on avait toutes les raisons du monde de se casser la gueule. Et pourtant, on a réussi à sortir un premier petit bout. Cela peut paraître anecdotique à beaucoup de gens mais pour nous c’était symbolique : nous avions le sentiment d’avoir survécu au plus difficile.

Evidemment, à cause de mon style très…euh…particulier, on va dire, certains ont visiblement tiqué, ce qui ne m’étonne pas vraiment. J’ai bien conscience que ce que je ponds n’est pas vraiment fait pour séduire la masse et ne plaira probablement qu’à une poignée d’hurluberlus mais ça ne m’empêchera pas de poursuivre. Après tout, c’est bien par passion que je suis là XD. La bonne idée à la publication de Milk aura quand-même été de basculer vers une sortie épisodique qui nous permet tout simplement de rester vivants (l’épisode 1 ne représentant que 10% du scénario, je vous laisse imaginer ce qui se passe si on réalise tout d’un coup : on se casse la gueule) mais aussi de corriger le tir pour s’améliorer. Car oui, on compte bien s’améliorer (Rome ne s’est pas faite en un jour).

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On figure même sur la bannière du thread EVN spécial Nanoreno, si c’est pas la gloire, ça =’)

En mars, nous avons décidé de participer au Nanoreno, un concours en temps limité à la portée internationale, ce qui paraissait quand-même super intimidant (les autres participants impressionnent). Malgré le délai serré, nous avons réussi tout ce qui était prévu dans les temps et Ambre est sorti début avril. Je trouvais que la petite histoire que j’avais en tête se prêtait assez bien à ce type d’évènement et les réponses très chaleureuses de la communauté Lemmasoft nous ont fait immensément plaisir (je ne sais pas s’il y a beaucoup de français à participer habituellement). Globalement, l’expérience semble plutôt lorgner du côté du succès et je prévois un jour de faire une nouvelle version pour toutes les choses que nous n’avons pas eu le temps de modifier (quelques fautes d’orthographe notamment).

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Deux sorties en un an, c’est un score pas trop mauvais pour une équipe débutante, à mon sens, il y a de quoi être satisfait. On pourrait même presque dire « deux sorties et demie » puisqu’entre avril et juin, j’ai eu l’occasion de prêter tous mes coéquipiers pour la création de Faith/Puella, un petit kinetic hommage à Urobuchi. Je me suis moi-même proposé pour donner quelques conseils dans tout ce que je pouvais et le résultat, sans être extraordinaire, me paraissait quand-même sympathique, surtout pour une équipe temporaire, vaste et disparate. Malheureusement, les difficultés rencontrées lors de la tentative de vente de copies physiques à la Japan Expo ont l’air d’avoir fortement démoralisé les différents chefs de projets. Au moins, leur mésaventure aura prouvé que même avec la meilleure intention du monde, la vente de visual novel n’est pas une affaire à prendre à la légère. L’oubli progressif du jeu est tout de même dommage et une version améliorée (orthographe et interface) gratuite reste patiemment dans les placards depuis un moment. Peut-être sortira-t-elle bientôt ?

Après cette pause nous nous sommes remis à la production de Milk vers le mois de juin et les nouvelles se sont faites plus rares. Pourquoi ? La première raison est que l’été est LA saison de la procrastination : chacun ayant des vacances à un moment différent, l’équipe ne peut quasiment plus rien faire et il est super facile de se laisser emporter par la flemme. La seconde est que nous avançons bien mais assez lentement, ce qui n’encourage guère à faire de news. Nous avons quasiment fini l’épisode 2 de Milk : les sprites sont prêts, les chibis sont prêts, l’interface a été quasiment entièrement remaniée…mais il reste encore une partie des décors et les CGs.

2014 ~ une année qui s’annonce sportive

Alors, quelles sont nos intentions pour 2014 ? Sans surprise, la priorité est de finir l’épisode 2 de Milk déjà très entamé. Le coche de 2013 a été loupé et nous avons dépassé mes estimations (bien trop optimistes comme d’habitude) mais j’ai bon espoir d’en venir à bout début 2014. Quand exactement, c’est une autre paire de manches…

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Voilà à quoi ressemblera la nouvelle interface. Beaucoup mieux, non ?

De plus, nous songeons très fortement à retenter l’aventure Nanoreno cette année. Si jamais ça se concrétise, le projet risque d’être très différent de ce que nous avons pu proposer avec Ambre ou même Being Beauteous. Je dirais même que l’ambiance va être complètement à l’opposé…

Si possible, voire très certainement, nous essayerons de sortir l’épisode 3 de Milk, beaucoup plus léger en termes de contenu graphique nouveau et donc potentiellement un peu plus rapide à produire.

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Petit teaser pour un chibi que je compte dévoiler à la sortie de l’épisode 2 ~

Si nous parvenons jusque là, ce sera déjà une sacrée marque de productivité car les équipes amateurs qui sortent deux à trois visual novel par an, même courts, ne sont pas légion. Sauf qu’en parallèle de toutes ces publications potentielles, nous avons un nouveau projet super-secret-de-la-mort-qui-tue (tous les projets secrets sont forcément géniaux, voyons) un peu différent de ce que nous faisons habituellement et qui va fortement dicter notre calendrier cette année. Je ne peux rien dire de plus pour l’instant mais il est certain que cela va représenter une grosse charge de travail et que 2014 va être particulière musclé pour nous. En tout cas, si nous sommes en bonne voie pour le concrétiser, vous aurez des nouvelles bien assez tôt ~

Les coulisses de la création de VN : l’enfer de la production

Chose promise, chose due. Après avoir évoqué en long, en large et en travers la pré-production (qui est une étape pas forcément super réjouissante, je suis bien d’accord), il est temps de passer à l’élaboration des « assets », c’est-à-dire le moment où le projet doit se concrétiser, une étape bourrée de pièges qui n’a qu’une seule visée : vous décourager.

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Une version alternative du décor avec les télévisions (@Melow et Hitman)

L’article qui suit ne vaut que si vous souhaitez diriger une équipe et que vous n’êtes pas graphiste vous-même : en effet travailler seul et avoir la main-mise sur une partie de la production graphique simplifient le processus puisque la bonne marche du projet ne repose plus que sur votre motivation et votre temps libre (on est d’accord que ce n’est pas facile pour autant). Je disais donc que, quand on ne possède pas toutes les compétences requises pour créer un visual novel et qu’on n’a pas non plus d’ami talentueux sous la main, on peut toujours essayer de recourir à la magie d’Internet pour rechercher des coéquipiers.

Le recrutement : facteur chance

Recruter des artistes est loin d’être facile, vous vous en doutez. Vu que la plupart des graphistes professionnels se font payer, en l’absence de moyens financiers, il faudra aller piocher chez des amateurs, et si possible des amateurs pas trop amateurs, dans le sens où la plupart du temps les gens préfèrent avoir un graphiste qui se comporte et dessine comme un professionnel pour plus de commodités. Bonjour le casse-tête. D’autant plus qu’un bon nombre d’illustrateurs ne connaissent pas le média et peuvent très bien hausser les sourcils lorsqu’on les sollicite sous une forme de porte-à-porte virtuel. L’idéal est bien sûr un graphiste impliqué dans le milieu VN et se débrouillant raisonnablement bien mais je ne vous surprendrais pas en vous révélant que ce type de personnes est très demandée. C’est la même chose avec les musiciens, d’ailleurs. Si vous avez de l’argent, ce sera plus facile d’embaucher quelqu’un mais d’autres soucis se poseront et il existe des tas de conseils pour ça sur Lemmasoft (par exemple la valeur d’un asset, comment bien rémunérer l’artiste).

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Un problème d’anatomie qu’il fallait règler (@Melow)

Quelques éléments favorables

Dans tous les cas, je n’ai guère d’astuces-miracle pour attirer d’éventuels artistes mais je pense que quelques éléments sont nécessaires :

  • Montrer sa motivation. Personne n’aura envie de joindre un projet qui menace de s’effondrer au moindre moment parce que ce n’est pas agréable de voir son travail gaspillé. En tant que chef de projet, il faudra donc prouver qu’on compte aller jusqu’au bout. Ce sera déjà plus facile si le scénario et la partie pré-production sont achevés (vous montrez que vous avez de la suite dans les idées) et encore davantage si vous avez des précédents en gage de bonne foi. Aussi il peut être utile de compléter d’abord un petit projet ou d’avoir un prototype du jeu avec des placeholders ou des images dessinées par vous-mêmes en attendant les « vraies » illustrations.
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A quoi ressemblait Milk avant même qu’il y ait de graphismes. Fort heureusement personne n’a jamais lu cette version.

  • Ne pas jouer la carte du secret. Je suis un peu coupable de cette manie-là mais je sais parfaitement que ça ne sert à rien de cacher ses idées. Certains amateurs en recherche de graphistes qui traînent sur Lemmasoft débarquent avec 2-3 phrases d’un projet absolument génial mais refusent d’en dire plus quand on les questionne. Personne ne peut vous rejoindre dans des conditions pareilles. Il faut donner les clefs aux gens pour qu’ils s’intéressent à ce que vous faites et là c’est comme leur claquer la porte au nez.
  • Se faire connaître. Plus compliqué à exécuter mais si c’est possible, il ne faut pas hésiter. Pour ma part, je n’ai pu connaître mes collaborateurs actuels que grâce à mon blog personnel, tenu pendant des années. Je n’étais pas particulièrement célèbre mais à force de poster, quelques personnes ont fini par me connaître, ce qui fait que lorsque j’ai lancé mon annonce, les retours ont été plutôt favorables justement parce que ceux qui me lisaient connaissaient un peu mon fonctionnement et ma personnalité.

Esprit d’équipe y es-tu

Au début de Milk, je partais du principe que je n’avais aucune légitimité à demander un service à un inconnu, aussi avais-je cru qu’il serait préférable de me montrer froide et distante pour ne pas embêter les gens dans leur vie personnelle. J’ai vite changé d’avis. Les gens ont besoin de contact humain et un projet bénévole ne sera jamais comparable à une multinationale au fonctionnement bien rôdé. La meilleure façon d’avancer dans le cadre d’un visual novel amateur est donc davantage de créer un esprit d’équipe…ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Connaître ses coéquipiers, leur montrer qu’on les écoute, qu’ils ont voix au chapitre, avoir de l’empathie quant à leur situation IRL, tous ces éléments ont bien plus de chance de souder les personnes qui travaillent ensemble.

C’est même encore mieux quand on peut avoir des discussions informelles et se découvrir des points communs car, je ne vous apprends rien, c’est plus facile de travailler pour quelqu’un avec qui on s’entend bien. La seule contrepartie c’est que s’il y a besoin de virer un coéquipier pour des raisons purement techniques (il ne correspond plus à vos attentes ou n’a plus le temps pour vous aider, par exemple), ça va nécessairement empiéter sur le personnel et devenir beaucoup plus dur à encadrer. Personne ne veut dire à un ami « Désolé, tu t’es investis à fond sur ce qui était notre projet, maintenant je vais engager Machin à ta place, je le connais à peine mais il travaille mieux ». Il faut donc bien réfléchir à qui on recrute dès le début, poser les bases du contrat pour éviter de s’embourber des mois plus tard et avoir une bonne dose d’honnêteté pour expliquer directement à la personne concernée quel est le problème et comment le résoudre.

En dehors de cette problématique, l’esprit d’équipe apparaît comme une composante cruciale mais pas forcément suffisante. D’ailleurs, participer à un concours de création en temps limité (tel que le Nanoreno) est une manière enrichissante de favoriser la cohésion de groupe : le cadre temporel est le même pour tous, ce qui pose un pied d’égalité, et le but est de se dépasser pour atteindre un objectif, avec à la clé la reconnaissance de son travail. Cependant ce n’est pas un bon indicateur de la solidité du groupe dans le sens où certains membres peuvent être performants sous la pression et se retrouver incapable de tenir sur du long terme. Or Dieu sait qu’un VN prend du temps !

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Différents essais pour la couverture du jeu (@Morsy)

Plus on est de fous, plus on…non, c’est pas vrai

A noter que, contrairement à ce que l’on peut penser, plus l’équipe est vaste, plus elle est difficile à gérer. Il est donc parfaitement contre-productif de rameuter six graphistes, trois compositeurs et douze scénaristes. Imaginez bien qu’en tant que chef de projet, vous devez passer dans le dos de tout le monde pour vérifier que tout se passe bien et répondre aux questions de chacun, ce qui demande de la concertation et du temps. Plus l’équipe est large, plus il faudra naviguer et je ne vous parle même pas de l’horreur absolue que doit représenter le fait de négocier avec plusieurs scénaristes pour savoir exactement ce qui se passe dans quelle route et être sûr que tout est cohérent. Ca plus le fait que s’il y a 20 personnes à « inspecter », bonjour la somme de travail. Surtout que les emplois du temps ne se croisent pas toujours comme on le voudrait : Machine n’est dispo que le mercredi soir mais Bidule non parce qu’il a cours de Yoga, et Truc a besoin de cette info capitale avant vendredi parce qu’il part en weekend chez sa famille et…Imaginez s’il faut rajouter le décalage horaire ! C’est juste ingérable, ce qui explique pourquoi les créateurs de Katawa Shoujo implorent les joueurs de ne pas imiter leur management. Malgré cela, il y en a encore qui se lancent dans un VN avec une équipe large, ce qui les ralentit fortement.

Dream versus reality

Pour le reste, c’est au chef de projet de voir quel style correspond le mieux à son univers et avec quelle personne il a le plus d’atomes crochus…même si bien souvent vous n’aurez qu’un choix limité de coéquipiers. A ce propos, le décalage entre le monde qui est dans la tête du manager et le résultat concret est souvent un facteur d’abandon : on s’imagine avec une ambiance graphique et sonore grandiose, prête à épater la galerie, et au final il faut composer avec le fait que ce ne sont jamais que des bénévoles qui acceptent de travailler pour vous et qu’ils ne peuvent pas forcément faire des miracles. A partir de là il y aura ceux qui acceptent de faire avec les petits défauts qu’on leur présente et ceux qui n’acceptent pas. On me fait souvent remarquer que Milk a des graphismes dépareillés. Evidemment, j’aurais préféré quelque chose de plus harmonieux mais si c’est le seul prix à payer pour que l’histoire prenne vie, je l’accepte. C’est une conséquence très logique d’un projet de longue haleine gourmand en ressources : aucun artiste ne peut s’attarder trop longtemps car il a une vie en dehors et demander au nouvel arrivant de tout refaire est absurde lorsqu’il est évident qu’il n’aura jamais le temps de dessiner tout ce qui est prévu.

Le recrutement des membres de l’équipe est donc une étape très importante qui demande un niveau d’exigence ni trop fort (sinon le projet va mourir), ni trop faible (sinon la qualité du projet va s’en ressentir). Mais revenons à nos moutons. Maintenant vous avez votre équipe toute flambante, toute neuve, et bien évidemment motivée, c’est génial, la vie est rose, les papillons brillent et le soleil souffle. Enfin, en admettant que vous ayez trouvé une répartition des tâches qui vous convienne (il peut arriver qu’un projet nécessite plusieurs graphistes et dans ces cas-là il faut bien déterminer qui s’occupe de quoi et comment faire pour réduire l’écart de style). Sauf que voilà, il va falloir la manager tout le long de la production. Voici comment ça se passe chez nous…

scène cuisine

Croquis pour un chibi qui n’a finalement jamais été inclus dans le jeu (@Morsy)

La production : un long chemin parsemé d’embûches

Vous allez donc découvrir avec effarement ce que je fais de ma journée quand je ne suis pas en cours. Au risque de vous décevoir, ce n’est pas particulièrement trépidant.

Procédure type

Un graphiste m’a fixé rendez-vous tel jour à telle heure parce qu’il a un petit créneau à me consacrer. Je profite donc d’un trou dans mon emploi du temps parfois crée pour l’occasion parce que mon cours n’était pas passionnant, AHEM pour me connecter sur Skype et ouvrir les fichiers de pré-production relatif au sujet de discussion. Evidemment, comme on est pas des chiens, on se salue et on échange quelques politesses avant : c’est important de savoir dans quel état d’esprit se trouve l’interlocuteur parce que s’il est fatigué/déprimé, ça va peut-être se ressentir au cours de la discussion et il sera alors plus intelligent de lui conseiller de se reposer et reporter l’entrevue à plus tard.

Le graphiste vérifie qu’il a bien compris ce que j’attendais comme type d’image. Je le renvoie à la description figurant sur la liste des ressources nécessaires, au gribouillage que j’ai monté avec des bonshommes bâtons s’il y en a un, à l’image de référence placée dans la Dropbox s’il y en a une. Il peut alors me poser des questions, parfois très pointues : en effet, un scénariste n’a au fond qu’une idée assez floue et modulable de ce qu’il veut, il ne pense pas nécessairement à la teinte de vert de l’herbe ou au motif sur la tapisserie là où le graphiste peut avoir besoin d’un grand nombre d’informations selon la complexité de l’image. C’est dans ces moments que l’on voit l’utilité pour le chef de projet d’être aussi le scénariste : il sait à quel passage de l’histoire l’illustration va renvoyer et peut relire vite fait le texte pour déterminer quel était l’esprit original et quel degré de liberté peut être octroyé au graphiste.

Une fois que le graphiste s’est lancé dans son dessin, je pars travailler sur autre chose (c’est le bonheur d’être multi-tâches). Je peux ainsi manager plusieurs graphistes en même temps pour optimiser mon temps mais cela supposerait qu’ils ont un emploi du temps similaire. Imaginons que c’est une journée lambda et non une grosse journée de travail, je vais donc hypothétiquement rédiger un article de blog en laissant Skype ouvert pour répondre aux éventuelles interrogations (certains problèmes ne se révèlent que dans la phase pratique, ce serait trop simple si on pouvait tous les anticiper). Le graphiste me soumettra alors un premier croquis et à ce moment je vais pouvoir pinailler en pointant ce qui me déplaît. Le graphiste va alors tenter de corriger et une problématique se pose.

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La création d’un chibi en plusieurs étapes (@Morsy)

Apprendre à lâcher du lest

Quelques fois vous tomberez sur des artistes qui semblent directement reliés à votre esprit : ils reproduisent télépathiquement exactement ce que vous avez dans la tête. Ces gens-là sont rares. Et probablement des robots ou des fantômes venus d’une autre dimension. Va savoir. Le plus souvent, l’artiste, tout bien intentionné qu’il soit, n’a pas la même vision du monde que vous à la virgule près, il peut donc interpréter vos mots de manière différente selon sa sensibilité. Les malentendus sont courants et reposent toujours sur des broutilles mais parfois ça ne se corrige pas. Parfois l’artiste, même en réessayant vingt, trente, quarante fois, n’arrive pas à reproduire exactement ce que vous imaginez. Et ce n’est pas forcément de la faute de quelqu’un. Peut-être qu’il est fatigué, peut-être que vous avez mal expliqué…ou peut-être que ça n’a rien à voir. C’est là qu’intervient une notion importante : savoir quand lâcher prise. Chaque scénariste a une vision différente de son histoire, il peut être très laxiste quant à la représentation de ses personnages comme il peut être incroyablement exigeant sur le moindre détail. Et ça peut aussi dépendre du type d’image : on est généralement plus attaché aux personnages qu’aux décors, par exemple.

Dans le cas de figure où l’artiste n’arrive pas à répondre à vos attentes et que le point de désaccord est relativement important, il y a plusieurs stratégies (que l’on peut cumuler) :

  • Faire un gribouillis s’il y en avait pas déjà, dessiner vous-même directement sur l’image du graphiste (une copie, hein, pas l’original) pour lui montrer la modification que vous désirez.
  • Reformuler, essayer d’utiliser les mots de la personne, comprendre ce qui bloque en posant des questions sans pour autant l’accuser.
  • Se reposer sur un modèle et demander ce qui empêche de l’utiliser, voire en chercher d’autres.
  • Proposer à l’artiste plus de liberté en lui demandant des suggestions. Après tout, il peut avoir de biens meilleures idées que vous, c’est stupide de se braquer pour un détail.
  • Vérifier que ce n’est pas la fatigue qui crée le blocage ou les conditions de travail (par exemple le graphiste est en train de bosser sur deux choses à la fois à cause du surmenage, il s’emmêle donc les pinceaux et vous ne pouvez pas le savoir sans le lui demander), auquel cas il suffirait de remettre ça à plus tard.

Si le problème persiste, il va falloir faire la part entre ce que vous jugez crucial ou non. Le graphiste n’est pas un robot, il va vite se lasser de refaire la même illustration en boucle. Exiger de lui qu’il recommence encore et encore c’est courir le risque de le décourager (et donc qu’il quitte l’équipe parce qu’il ne se sent pas bien) et c’est aussi perdre un temps qui peut être précieux. Dans ce cadre, il y a des moments où je vois l’artiste aller à l’encontre de ce que je lui ai demandé et où je préfère dire « Très bien, on la garde » parce que j’ai bien vu qu’il était motivé/qu’il a passé beaucoup de temps dessus/que la deadline a été dépassée depuis longtemps et qu’il serait bien que le VN voie le jour. C’est une histoire de priorité. J’accepte régulièrement un travail un peu bâclé, quitte à passer derrière ou à demander à un autre artiste d’effacer la ligne qui dépassait en haut à gauche. Parce qu’au fond ça ne vaut pas la peine de terroriser quelqu’un qui vous aide bénévolement sur son temps libre. Le sacrifice demandé n’est pas non plus anodin : personne ne les force à venir bosser pour vous, ils sont là parce qu’ils y voient un intérêt, autant rendre l’expérience la plus agréable possible et votre rôle en tant que manager c’est avant tout de faciliter la vie de vos coéquipiers. N’oubliez pas cette notion, je la trouve réellement importante.

Imaginons que vous avez approuvé le sktech du graphiste, il va donc réaliser le lineart et reviendra probablement vous voir pour être sûr que les couleurs sont les bonnes. Mais ce qui est fun dans cette histoire c’est que selon le temps dont il dispose, l’étape que vous venez de lire peut très bien s’étaler sur plusieurs jours et il faudra alors forcément répéter les indications initiales à un moment ou à un autre pour ne pas s’y perdre. Encore plus fun, vous pouvez répartir le travail entre deux personnes, mettons un artiste pour le lineart et un artiste pour la mise en couleur. Ce qui suppose que la 2e personne comprenne comment fonctionne le dessin de la première. Un costume un peu original, par exemple, posera des problèmes parce qu’on ne visualisera pas toujours ce qu’est censé être chaque élément et comment s’applique la couleur. Ou alors la 2e personne aura du mal à se retrouver dans les calques de la 1e parce qu’elle n’a pas la même manière de les ranger.

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Exemple d’images qui diffèrent de l’idée originale : le costume disco et le peignoir (@Morsy et Melow)

Se montrer flexible

Ensuite il faut prendre en compte la personnalité du graphiste. Inutile de le forcer à adopter un mode de fonctionnement qui ne lui convient pas, ça serait contre-productif. Le plus intelligent est d’arriver à cerner à peu près comment il agit pour s’appuyer sur ses atouts et essayer de gommer ses failles. Par exemple, une personne peut avoir d’immenses complexes et ne jamais se sentir à la hauteur mais dès qu’on la valorise un peu, on se rend compte qu’elle fait un super boulot. Une personne peut agir en parfaite autonomie là où une autre a besoin d’être régulièrement sollicitée pour se motiver, etc. Le rôle du chef de projet est alors de choisir une organisation basée autant que possible sur les caractéristiques de ses coéquipiers et de venir régulièrement discuter avec ses troupes pour faire le point. Parce que les obstacles vont être nombreux. Travail avec des bénévoles oblige, chaque artiste va régulièrement s’absenter à cause d’un empêchement IRL. Le tout est d’arriver à avoir une relation de confiance pour être mis au courant de l’absence et la prendre en compte. Un membre qui disparaît du jour au lendemain ça plonge dans le doute, un membre qui est occupé par la vie c’est normal et compréhensible. Il s’agit de se réadapter à chaque changement de cap, de trouver un moyen de rebondir sur ses pattes et de continuer à avancer vers la sortie du projet. Etre suffisamment ferme pour que le VN continue mais ne pas se cambrer sur ses positions pour que les artistes respirent et puissent avoir de la marge de manœuvre.

Ce processus est sensiblement le même quel que soit le type de graphismes, même si l’interface est particulièrement complexe à gérer (chaque menu compte limite comme une illustration sur laquelle il faut discuter) parce qu’il faut sans arrêt garder en tête les principes d’ergonomie et de cohérence tout en demandant l’avis du programmeur qui va intégrer l’ensemble. Et il est facile de passer à côté d’un détail qui a son importance.

La musique est un peu à part puisqu’il est extrêmement difficile pour le chef de projet d’avoir vraiment des éléments à apporter s’il n’a que très peu de connaissances musicales. Il ne peut pas faire de croquis ou critiquer l’anatomie et se borne donc à donner des exemples ou à essayer d’expliquer avec des mots ce qu’il voudrait voir réajusté. Quant à la programmation…la programmation demande surtout de comprendre le langage du programmeur pour arriver à s’entendre, c’est davantage une histoire de communication 8).

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Un décor en plusieurs étapes (@Elairin)

Faire sens

Ce qui ressort de ma description de la vie en équipe restreinte et que je vais décrire avec plus de détails c’est que le chef de projet doit mettre les mains dans le cambouis et donner son avis dans les différents domaines de création. Ce n’est pas très drôle pour lui parce que le travail qui lui revient est souvent le travail ingrat dont personne ne veut, mais ça le force à savoir ce qu’il veut : il ne peut se reposer que sur lui pour rassembler les assets et leur donner du sens, il n’a pas le luxe de botter en touche parce que la survie du projet lui incombe en grande partie. En effet, même si tous les artistes arrivent à finir leur travail super vite et super bien, il reste tout un travail de rassemblement et d’intégration sans lequel le VN ne verrait pas le jour.

Voilà concrètement ce que je dois faire :

  • Exporter toutes les expressions des sprites. Chaque élément, que ce soit une paire de sourcils un poil plus froncée, une bouche différente ou une goutte de sueur, multipliant le nombre de variantes, il est apparu que le travail d’exportation prenait un temps fou à l’artiste, c’est donc désormais moi qui le fait grâce à un logiciel graphique à trouze mille balles que j’ai bien évidemment acheté sur ma fortune personnelle, AHEM.
  • Coller ces expressions dans le dossier du jeu et les définir dans le code.
  • Indiquer dans le code quelle expression va à quel endroit, positionner chaque personnage, ce qui prend une somme de temps incroyable quand on a beaucoup de personnages qui changent beaucoup d’expression.

Je dois intégrer les autres illustrations, bien sûr, mais aussi m’assurer que tout est en ordre. Si une pose a des traces blanches sur le côté, il faudra l’exporter de nouveau, si des sprites se chevauchent, qu’un décor s’affiche mal, il faudra demander l’expertise du programmeur. En tant que chef de projet, je dois rectifier toutes les erreurs que je vois (les miennes y compris) et des fois changer légèrement le texte pour m’adapter aux changements graphiques. Et c’est sans compter l’intégration de la traduction anglaise, que je préfère réaliser quand le code est à peu près définitif et qui consomme un temps juste pharamineux. J’ai calculé qu’il me fallait environ 4h toutes les 1000 lignes de code, en sachant qu’il peut y avoir entre 5 000 et 6 000 lignes en tout. Je vous laisse faire le calcul, ça me prend une bonne semaine.

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Croquis de personnages secondaires (@Laniessa)

Conclusion

Le travail de « chef » peut paraître bête et méchant, tout comme discuter avec chaque artiste peut sembler bien léger, mais mis bout à bout, les deux prennent un temps considérable. Manager une équipe demande de la présence et une grande dose de motivation pour affronter toutes les difficultés qui se dressent sur votre chemin, tous les imprévus. Pour arriver jusqu’au bout, vaut mieux ne pas trop douter et aimer sincèrement son projet, malgré ses failles, malgré l’adversité, aimer ce qu’on fait et aimer travailler avec les gens qui vous entourent. Le chef de projet doit rester humble, faciliter la vie de ses coéquipiers et donner du sens au projet pour mener à bien la production du visual novel. C’est de l’enchevêtrement des circonstances positives comme négatives qui accompagneront chaque artiste et sa capacité à les motiver dont dépendra l’avancement plus ou moins rapide de la production. C’est pourquoi il ne lui est pas permis de désespérer.

P.S : Cela fait longtemps que je n’ai pas parlé de l’avancement de Milk, je plaide coupable, néanmoins le projet avance toujours ! Surveillez bien les réseaux sociaux et le site, des nouvelles vont tomber prochainement…et peut-être même des vidéos si tout se passe bien ~

Helia

La genèse d’Ambre

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Un des premiers essais pour le menu principal

Vu que le jeu est sorti depuis maintenant 2 mois, je me dis que c’est le bon moment de parler de sa genèse avant de passer à la suite de Milk, sur laquelle nous planchons actuellement et qui s’annonce pleine de défis. Evidemment, les spoilers sont de mise, ne lisez pas avant d’avoir terminé le visual novel !

Comédie romantique versus zombies

L’idée première m’est venue à travers un échange banal entre moi et mon colocataire qui me racontait le contenu de son livre de zombies, dont j’ai oublié le nom depuis : dans l’un des chapitres, le narrateur interroge une petite fille ayant survécu à une invasion. Elle a perdu ses parents dans la foulée et livre un témoignage vibrant lorsque l’auteur dévoile que celle qui parle est en réalité une très vieille femme qui est restée coincée dans sa tête au moment du drame et se croit toujours enfant. J’avais trouvé le retournement de situation particulièrement intéressant et je m’étais dit que je l’utiliserais volontiers dans une de mes histoires si j’en avais l’occasion.

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Sketchs de l’héroïne

Pendant l’été qui venait de s’achever, j’avais eu l’occasion de me rendre en train jusqu’à Paris pour Epitanime et la même affiche de film ornait toutes les gares dans lesquelles j’ai pu passer. Une publicité pour une nouveauté romantique, l’histoire d’un couple heureux qui basculait lorsqu’à l’issue d’un accident la fille perdait la mémoire et revenait plusieurs années en arrière, obligeant l’homme à la séduire une nouvelle fois pour retrouver le bonheur perdu. Si j’en crois la critique et Wikipédia, ce n’était qu’un divertissement convenu et pas très original, et ça finissait forcément en happy end. Peu importe. Toujours est-il que je me suis demandée ce qu’il adviendrait de mon compagnon si je me réveillais un matin sans me souvenir de lui et quel comportement j’adopterais selon la coupure dans ma mémoire. Vu que j’ai énormément changé avec le temps, le résultat était toujours surprenant.

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Brouillons du CG de la balançoire

C’est en combinant ces deux éléments que le scénario d’Ambre a commencé à prendre forme, même s’il était encore à l’état de premier jet boiteux. J’avais déjà une idée du « twist » final et de la trame mais encore fallait-il la remplir et trouver une raison à la régression de l’héroïne. L’histoire aurait donc pu rester mourir dans ma tête s’il n’y avait pas eu une autre source d’inspiration inattendue.

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Brouillons du chibi de l’interface

Cinderella ate my daughter

Je regarde occasionnellement des vidéos sur That Guy With The Glasses, parfois un peu au hasard, et c’est comme ça que je suis tombée sur une critique de la chanson Moment 4 Life de Nicki Minaj. Je ne connais rien du tout aux starlettes à la mode, ça ne m’intéresse pas, et tout ce que j’avais pu entendre à propos d’elle c’était les remarques acerbes d’une amie qui me disait que c’était de la merde. Mais cette chanson m’a marqué justement parce qu’elle constitue une démonstration assez vibrante du syndrome de Cendrillon à l’époque moderne, un sujet qui lui me passionne beaucoup.

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Essai de positionnement des sprites sur le décor

Tous les tropes sont là, aussi bien dans les paroles que dans l’imagerie déployée. Ainsi la jeune femme fait état de son désir d’ascension sociale comme quelque chose qui lui est dû mais dont elle a été privée de manière injustifiée, du fait qu’elle ne soit pas juste chanceuse mais une sorte d’élue, et que son nouveau statut de star la rapproche d’une reine/princesse, le tout pour mieux répéter lors du refrain que maintenant qu’elle a atteint son rêve, elle veut qu’il dure pour toujours. Le clip ne fait qu’entériner cette obsession en présentant une marraine la fée chargée de veiller sur la starlette/princesse qui donne un grand bal, occasion d’étaler son luxe et son oisiveté (grande maison digne d’un palais, foule de convives, jardin immense, mobilier somptueux, passage de la montagne de chocolats très révélateur de la vision de la richesse actuelle et qu’on peut mettre en parallèle avec la mode lancée par le film Marie Antoinette de Sophia Coppola), mais aussi de rencontrer un « prince charmant », qui n’est autre qu’une star en pleine ascension comme elle. Le clip pousse même le vice jusqu’au bout en représentant le « mariage » des deux chanteurs sur fond de feu d’artifice, comme pour insister sur le happy end éternel du conte de fée.

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Brouillon du CG de l’album photo

Sauf qu’évidemment, on remarque des tas de petits détails qui viennent ruiner cette perfection : le « couple » de rappeurs semble totalement isolé dans leur célébration, comme si devenir une star supposait forcément de faire le vide autour de soi, leur mariage sonne comme une farce (ils ne font même pas semblant de s’embrasser ou de s’aimer, c’est purement symbolique, l’union paraît uniquement économique/bizness), et surtout on ne voit que la toute fin du conte de fée. Parce que pour arriver au niveau de starlette, on suppose que Nicki Minaj a bien dû trimer un petit peu et que ça devait être nettement moins esthétique à regarder. D’ailleurs, en parlant de « joli », son physique est totalement défiguré par la chirurgie, c’en est impressionnant ! Il suffit de traîner sur le net afin de retrouver une photo d’elle avant pour s’en convaincre : de mignonne, elle est devenue une sorte de monstre fabuleux censé correspondre aux critères de beauté actuels mais avec une plastique complètement tordue (ses yeux, ses lèvres, ses seins, elle ne ressemble même plus à une femme normale).

De Cendrillon à Ambre

Quand j’ai écouté cette chanson, j’ai été fasciné, non pas par la musique ou la chanteuse, mais par ce que le personnage représentait. Par le fait que quelqu’un puisse sacrifier toute son existence pour la promesse d’une vie rêvée à la Cendrillon aussi creuse et vide soit-elle. Je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que le souhait formulé dans la chanson était à la fois incroyablement superficiel et incroyablement humain. Aussi ai-je eu très envie d’intégrer le syndrome de Cendrillon à l’histoire incomplète que j’avais jusque là et d’en faire la raison de la folie de l’héroïne.

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Brouillon de l’hôpital et version cauchemar alternative

Le scénario que j’avais en tête étant tout de même très court, je me suis dis qu’il valait mieux le garder pour participer au Nanoreno, un concours qui me faisait de l’œil depuis un moment, sauf que sur le moment l’épisode 1 de Milk n’était pas encore sorti, il nous a donc fallu rusher une première fois pour le finir et une seconde fois pour mener à bout le projet malgré une pluie de complications : Roganis, notre compositeur habituel étant parti au Japon, il lui était impossible de nous joindre, ce qui me forçait à recruter quelqu’un en urgence (on a eu de la chance que Kimino réponde et s’occupe très rapidement de la musique) ; de plus mon ordinateur personnel est tombé en panne à cette période, compliquant énormément la gestion des ressources. Sur la fin, nos deux graphistes étaient toutes les deux en difficultés : Melow était tombée malade et Morsy ne savait pas si elle allait finir les dernières CGs à cause de son stage. Heureusement, le jeu n’avait pas besoin d’énormément de ressources, mais la précipitation nous a empêché de polir certaines choses (le dernier décor, le code des feuilles mortes).

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Ancienne version du décor de la rue et brouillon de la nouvelle

Au bout du compte, la team a réussi à finaliser Ambre juste à temps et les retours sur l’œuvre ont été plutôt positifs. Je n’avais pas pensé reprendre le thème de Cendrillon une nouvelle fois mais je suis assez satisfaite du résultat même si j’ai eu beaucoup de mal à m’y mettre. Le fait de jouer avec le lecteur m’a amusé et j’espère bien reproduire ce genre de tromperie à l’avenir…encore désolée pour ceux qui croyaient avoir à faire à une innocente petite fille X’). Maintenant que cela est fait, restez à l’affût, des informations sur Milk ne vont pas tarder à tomber !

EDIT : la bande-son du jeu est disponible gratuitement ici

Les coulisses de la création de VN : La pré-production

La dernière fois, je parlais des erreurs les plus courantes en matière de création de VN, notamment les erreurs techniques dues au fait qu’en tant qu’amateurs, les personnes impliquées dans un projet ne savent pas trop comment s’y prendre et apprennent bien souvent sur le tas (ou n’apprennent pas du tout, ça arrive aussi).

Si Lemmasoft, le plus gros forum qui rassemble la communauté du VN anglophone, propose bon nombre de conseils en matière de création, il ne dispose d’aucun véritable tutoriel qui aille de A jusqu’à Z en regroupant tous les domaines de compétence, ce qui est parfaitement compréhensible. De l’autre côté, les indépendants ayant réussi à sortir peu à peu du statut d’amateur avec des productions de qualité parlent au fond assez peu des difficultés qu’ils ont rencontré tout au début de leur carrière. Il est donc délicat de recueillir des informations quand on désire soi-même lancer un VN. Informations qui pourraient servir à certains, désireux de se lancer.

Du coup, je me dis qu’il serait peut-être bon que j’essaye de parler de la partie difficile de la création de VN vu que je suis en plein dedans et que je n’y penserais peut-être plus une fois que j’en serais sortie. N’ayant pour expérience que ce que je vis, je ne parlerais que de la team et ne prétends certainement pas détenir la vérité suprême, je n’impose en aucun cas un modèle.

La pré-production, pilier du projet

Tout d’abord, je pars du principe que créer un visual novel demande plusieurs étapes : la pré-production, la production et la post-production. La 1e est souvent celle qui est la plus négligée et pourtant, c’est probablement l’étape la plus importante dans l’élaboration du jeu. Comme ce n’est pas directement de la production de ressources, cela paraît anecdotique, dispensable, ou superflu, mais en réalité c’est le pilier sur lequel doit s’appuyer la production, surtout quand le projet est long/ambitieux et réalisé en équipe. Si le travail préparatoire n’a pas été fait correctement, la production a de grandes chances de s’égarer, de partir en sucette ou de ne jamais décoller.

I) Scénario

Etant moi-même scénariste, je mets le scénario dans la pré-production parce que c’est ce dont j’ai l’habitude mais il peut bien sûr arriver que ce soit un artiste différent qui se charge de cela, ce qui change le type d’organisation. Toujours est-il qu’à la base d’un VN, il y a forcément un scénario, même simpliste.

A) Conception

La conception est la partie la plus stimulante de n’importe quelle œuvre, celle où les idées sont censées affluer dans tous les sens ; celles-ci peuvent partir d’un détail, sortir de nulle part ou maturer lentement. Dans mon cas, l’inspiration fait souvent de joyeux mélanges et je me retrouve avec certains éléments de l’histoire définitifs immédiatement alors que d’autres prennent plus de temps à s’éclaircir.

Pour Milk, tout est parti d’une idée absurde et le projet devait aligner les plus gros clichés possibles et imaginables. Je me rappelle notamment d’avoir imaginé une scène où le héros se trouvait dans un vestiaire (avant un passage à la piscine, je crois) et le but était de sélectionner au pif quel vestiaire ouvrir pour pouvoir surprendre une des héroïnes se déshabiller. C’était du fanservice gratuit et ça ne volait pas haut. Je voulais aussi inclure le plus possible de références à des animes connus (par exemple, qu’un perso ouvre le placard et que Kiri Komori en surgisse). Pour la visée parodique, il fallait que les héroïnes soient des stéréotypes sur pattes. Mais comme je ne savais absolument pas où j’allais, j’ai fini par tout poser à zéro et recommencer de manière plus libre, tout simplement en partant sur une histoire (majoritairement griffonnée à la marge de mes cours, mais ça c’est autre chose). Et ce n’est qu’à partir du moment où j’ai vraiment considéré qu’il me fallait un récit construit que le projet a pu démarrer.

scénario extrait

Extrait d’une des routes (devinez laquelle)

B) Tri

C’est généralement là qu’on se rend compte si ça part mal ou non, quand il faut rassembler les idées géniales éparses en un tout cohérent. On réalise que tout ne colle pas, qu’il faut abandonner des choses, en remplacer d’autres, remodeler le scénario. C’est exactement ce qui s’est passé avec Milk quand j’ai voulu faire le tri parmi les scénettes imaginées et que je me suis rendue compte que rien ne tenait debout. D’où ma volonté de repartir sur des bases plus saines.

Quand on n’est pas habitué à écrire, on peut très vite être démotivé par l’ampleur de la tâche. Un scénario ça ne coule pas tout seul, il y a bien sûr une part d’inspiration, mais le reste c’est comme tout, du skill, et le skill ça s’obtient en s’entraînant encore et encore. Parce que l’entraînement permet d’acquérir quelques trucs et astuces auxquels on ne pense pas forcément quand on ne s’y connaît pas, par exemple le fait de créer un fichier qui retrace la chronologie de l’histoire ou qui récapitule les relations entre personnages s’il y a de nombreux sauts dans le temps ou des arbres généalogiques compliqués. Cela permet de vérifier d’un seul coup d’œil qu’il n’y a pas de faille majeure. C’est en tout cas ce dont je me suis servie pour Milk afin de ne pas trop me perdre dans mes dates :

chronologie extraitBeaucoup d’idées peuvent changer entre la conception et l’ordonnancement, et je pense que c’est une bonne chose parce qu’on peut réaliser progressivement que tel concept super cool ne nous plaît au fond pas tant que ça. Personnellement, en réfléchissant sur le background possible des héroïnes, j’ai eu d’emblée des idées très bien délimitées pour certaines. Par exemple, les routes de Kurumi et Makuro n’ont quasiment pas changées depuis que j’ai commencé à y réfléchir, c’est-à-dire depuis ma 2e année de prépa (cela fait donc environ 3 ans). A l’inverse, les routes de Mizuho et Mika sont celles qui ont subies le plus d’évolutions et il m’a fallu plus de réflexions. Surtout Mizuho qui est passé d’une description globale de ses déboires amoureux pour lesquels je n’étais pas inspirée du tout à un récit très psychologique et, je pense, beaucoup plus intime.

C) Outline

Lorsqu’on débute le scénario d’un visual novel, il est intéressant de commencer par un outline, c’est-à-dire de coucher sur papier l’enchaînement des évènements de manière résumée et de n’écrire véritablement qu’après. C’est une astuce très pratique pour bien s’y retrouver dans son récit, éviter les incohérences et prévoir plusieurs branches si l’intéractivité est présente. Autrement dit, c’est le complément de la phase de tri. Il va sans dire que pour produire un outline il vaut mieux connaître la fin de son histoire pour plusieurs raisons : d’abord des changements de dernière minute sont toujours à prévoir, ce qui obligerait à rebosser toute la structure, ensuite ça évite de partir complètement en sucette, et enfin c’est bien plus encourageant quand on sait où on va. D’un point de vue scénaristique, on ne peut pas cacher efficacement le coupable d’un meurtre tout au long d’un bouquin policier si on ne sait pas soi-même qui est le dit coupable. A mon avis, avoir un outline sous la main c’est baliser son travail et se simplifier la vie. Celui-ci n’a pas besoin d’être très détaillé, une ou deux lignes par évènement majeur suffit largement.

J’ai rédigé plusieurs outlines pour Milk, deux différents pour la branche principale et un par héroïne (ce qui déconnecte quelque peu les routes entre elles mais je ne pense pas que ce soit forcément mal joué). Globalement un fichier prenait entre 2 et 5 pages (si ma mémoire est bonne) mais j’avais tendance à y rajouter des références ou des bouts de scène parce que j’avais peur d’oublier mes phrases. Malheureusement, j’ai supprimé les fichiers progressivement à chaque partie rédigée, pensant naïvement que je n’en aurais jamais plus besoin, je ne peux donc rien montrer. Je vous déconseille de m’imiter pour des raisons que j’expliquerai un peu plus loin…

D) Ecriture

Lorsque l’outline est achevé, on peut enfin commencer à écrire « pour de vrai ». La 1e question que beaucoup de gens se pose est de savoir si un visual novel s’écrit de manière différente qu’un livre et à quel point. Pour ma part, je considère, livre intéractif oblige, qu’il n’y a guère de gros changement à opérer. Mettre en page les dialogues de façon à aider le codeur quand on passe à la phase de script (marquer le prénom du personnage qui parle avant chaque phrase, par exemple) est bien sûr un plus, pour le reste c’est en fonction du style de chacun.

Méthodes et styles

Je déconseille toutefois d’utiliser la méthode qu’on peut voir en action dans Anamnésis qui consiste à ne rédiger que des dialogues dans un style familier et bref (ne pas oublier qu’au théâtre, les dramaturges compensent l’absence de narration par des monologues ou des tirades visant à exprimer les sentiments des personnages). Le souci avec cette façon d’écrire est qu’elle entrave énormément l’immersion et qu’elle réduit considérablement les possibilités de langage. Autant ne pas se compliquer la vie.

Je déconseillerai également de ne pas baser la personnalité du « héros » (s’il y en a un) que sur des choix si l’interactivité du jeu est faible. Dans Cinders, qui possède des centaines de choix et de variantes, le but est de se construire sa propre version de Cendrillon en modelant l’héroïne selon nos envies, donc un lien de proximité s’établit plus forcément entre le lecteur et son avatar.

cinders05

A l’inverse, dans Katawa Shoujo, Hisao ne fait que refléter de manière diluée la personnalité de la fille qu’il séduit, or dans la plupart des routes, on se retrouve avec un tête à tête entre ces deux personnages et éventuellement un ou deux sidekicks qui poppe de temps en temps (sauf pour la route de Shizune où Misha a une réelle importance), ce qui fait bien souvent basculer le récit dans l’ennui parce qu’il n’y a pas de réelle confrontation. Si votre VN ne possède que peu de choix, autant choisir la personnalité du héros, quitte à ce qu’il n’en ait pas, car c’est aussi une option tout aussi envisageable (mais il faut savoir l’utiliser).

KS02

 

Contenu

Reste qu’il est souhaitable d’avoir en tête les images qu’on souhaite utiliser pendant qu’on écrit afin de se faciliter les étapes suivantes. Et aussi d’éviter de prendre des habitudes trop littéraires (certains textes sont très difficiles à illustrer parce qu’ils reposent justement sur le principe que le lecteur doit tout imaginer).

D’ailleurs même si le travail a été soigneusement préparé à l’avance via l’outline, je crois qu’il ne faut pas hésiter à se laisser surprendre dans le feu de l’action. Quelques fois j’ai des éclairs d’inspiration au dernier moment, ce serait bête de les laisser de côté, surtout que ça rend le processus créatif tellement plus fun. C’est comme ça que dans Milk bon nombre de scènes ont été rajoutées sur le vif, sans avoir été prévues à un quelconque moment. Elles sont apparues au fil de la plume et se sont insérées tout naturellement dans le flot de l’histoire, aussi je n’ai pas voulu m’en débarrasser. Je pense notamment à la route de Najimi (une des plus longues) où je souhaitais intégrer deux éléments scénaristiques différents et passer de l’un à l’autre. Le 1e conflit devait être court et laisser la place au second dès que possible. Sauf que voilà, j’ai si bien développé cet élément que je ne suis arrivée au suivant qu’au bout d’une soixantaine de pages (en sachant que les choix n’étaient pas encore intervenus et qu’il faut compter plusieurs pages par fin), c’est-à-dire au moment où j’aurais dû conclure. Au final j’ai préféré garder cette partie, parce que je l’aimais bien, au lieu de tout recommencer.

Ecrire un visual novel demeure très long, aussi il est important d’aimer ce que l’on fait. Quelques fois, les gens pensent trop aux attentes du public, ils veulent inclure ce qui se vend le mieux, ce que les autres apprécient, et au final ne fabriquent plus vraiment l’oeuvre pour eux-mêmes. La motivation vient bien plus facilement quand on aime ce qu’on fait et il ne faut pas oublier que ce récit qui prend forme peu à peu, eh bien, on va devoir le lire, le relire, encore et encore, jusqu’à l’apprendre presque par cœur à force de révisions, de corrections et de vérifications diverses et variées. Si au bout de la 3e fois que vous relisez votre script, vous êtes déjà écœurés par votre propre histoire, c’est mauvais signe…

E) Relecture & correction

Des fautes d’orthographe on en laisse tous passer, c’est normal, reste qu’un visual novel écrit comme un torchon ça fait mauvais genre. A mon sens il vaut mieux montrer le scénario à plusieurs personnes pour le corriger le plus tôt possible parce que ce sera plus contraignant de souligner les éventuelles fautes au moment du script, le programmeur ayant déjà des tas de choses à faire, autant lui faciliter la tâche. En sachant que même après une douzaine de passages pour vérifier que tout est en place, il y aura forcément une dernière coquille qui traînera parce que la fatigue vous aura empêché de la voir, il est donc plus constructif de ne pas corriger tout seul. Pour ma part, j’ai fait lire le scénario à deux personnes différentes. L’une avait plutôt tendance à souligner les incohérences de l’histoire et l’autre plutôt les fautes d’orthographe pures, ce qui fait qu’elles se complètent bien et me permettent de ratisser large. L’autre avantage d’avoir deux personnes est que je peux choisir l’ordre dans lequel je vais leur envoyer les fichiers (telle route avant telle autre, par exemple) et comparer leur compréhension du récit avec un ordre de lecture différent.

correction extrait

Un exemple de débat de la plus haute importance : la traite des vaches c’est serious business !

II) Planification des ressources

Le scénario prend petit à petit de l’ampleur ? Il est grand temps de faire correspondre les scènes avec des ressources pour visualiser avec précision quels seront les besoins du VN. C’est là que garder son outline sous la main peut se révéler pratique…

A) Liste des ressources nécessaires

Quand on travaille en équipe, il est vital de poser sur papier la liste de tout ce dont on aura besoin car c’est ce qui servira de base aux artistes pour travailler chacun de leur côté. Un visual novel étant très gourmand en graphismes, il est capital de passer un peu de temps à décrire exactement combien d’images il faudra, quel type d’images et quelles variantes. Il existe plusieurs fonctionnements à ce propos : l’un consiste à utiliser des sprites/paper-doll figurant les personnages et leurs diverses expressions sur des décors ou backgrounds et à ponctuer les moments importants d’images très soignées, les event CG, mais on peut imaginer n’utiliser que des event CG, réduire la masse de travail avec des chibi/super deformed pour donner un côté cartoon, ou encore ne garder que des décors. C’est à chacun de déterminer l’ambiance graphique qui lui convient le mieux. A savoir que les images qui poseront le plus de problèmes sont très certainement les backgrounds (les décors) si vous en utilisez. Ils sont relativement longs à dessiner et il faudra donner des indications précises aux artistes pour qu’ils puissent s’y atteler à peu près sereinement. D’ailleurs pour toute image que vous désirez inclure, je conseille de formuler une description qui dira au dessinateur où se trouve quel personnage et ce que l’image doit contenir.

Liste graphismes extrait

Un exemple ici avec une version dépassée de la liste des graphismes du teaser de Milk. J’ai répertorié le nombre d’illustrations nécessaires par catégorie d’images, les variantes que je voulais. Pour certaines, j’ai aussi essayé de décrire sommairement ce que je voulais.

Pour la musique et les bruitages (s’il y en a) c’est légèrement différent mais il faut aussi donner le maximum d’indications sur l’ambiance désirée. A noter que l’interface compte dans les ressources nécessaires.

Liste musiques extrait

Autre exemple avec la liste de musiques nécessaires du teaser de Milk. Roganis en avait déjà un peu parlé dans son article sur la MAO mais j’en profite pour préciser quelques détails. On peut voir que je découpe chaque demande selon le schéma : le type de demande, et donc d’ambiance recherchée ; les instruments que je verrais bien coller à l’ambiance ; les pistes d’OSTs qui m’inspirent pour ma demande. Le nombre de pistes est approximatif sur cette liste mais dans une autre, plus récente, j’ai été encore plus détaillée.

B) Recherche de références

Une fois la liste établie, il est utile de chercher des images et des musiques qui ressemblent à ce que vous voulez faire pour la compléter. Vos coéquipiers n’étant pas dans votre tête, ils ne comprendront pas forcément toutes vos explications, et des illustrations peuvent être bienvenues pour expliciter votre propos. Si vous voulez une pose spécifique pour tel personnage sur telle image, telle instrumentation pour telle piste, tel gadget pour la boîte de dialogue ou le menu des options, essayez de prévoir un stock de références que vous puissiez sortir en cas de besoin.

C’est ce que je fais quand je parle en privé à chaque membre mais il y a aussi un cas où les références sont présentes dans le dossier commun, c’est celui de l’interface.

pr_extra_mode

Ici on peut voir un screenshot de Primary Magical Trouble Scramble qui nous a aidé pour le menu des bonus.

C) Optimisation

Et parce que, plus il y aura de ressources à fournir, plus le projet sera long et compliqué, il est judicieux de comparer votre scénario avec votre liste de ressources afin de se débarrasser des images superflues (ce sont souvent elles qui plombent la production). Est-ce qu’il est bien nécessaire de mettre tel event CG à tel endroit alors qu’on peut facilement laisser le sprite sur le background ? Est-ce que je suis obligé de rajouter tel décor alors que les personnages pourraient rester au lieu précédent ? Est-ce que je ne peux pas réutiliser telle musique à telle scène au lieu d’en mettre une nouvelle ? Est-ce que je mets des bruitages pour tout et n’importe quoi, quitte à ce que le jeu se transforme en cacophonie ? Si ce n’est pas le cas, il est tout de même plus simple de changer une ligne dans le scénario que de produire une ressource supplémentaire.

C’est un problème assez récurrent qui se pose à moi : j’ai beau faire des optimisations fréquemment pour éliminer le maximum d’images inutiles, au final il y en aura toujours trop. Par exemple, je suis en ce moment en train de me pencher sur le listage des graphismes dans la version complète du jeu et je remarque que, bien souvent, un évènement important requiert un event CG pour avoir plus de poids mais qu’au fond je pourrais très bien utiliser les ressources de base. La question est donc : dois-je céder à l’appel des CGs et dans ce cas, la charge de travail de l’artiste responsable va augmenter significativement et il ne pourra peut-être pas dessiner toutes les illustrations à temps, ou bien est-ce que je garde les ressources de base, quitte à faire perdre à une scène une grande partie de son impact ?

D) Croquis préliminaires

La plupart d’entre nous ne savent absolument pas dessiner mais si vous avez quelques notions, profitez-en au maximum. Il est souvent difficile de décrire les images qu’on a inventé dans notre tête avec des mots, aussi gribouiller quelques idées pour les graphistes peut grandement faciliter leur travail, surtout si vous avez des demandes très ciblés (certains s’en foutent de savoir que leur personnage ait des cheveux blonds, bruns ou roux, d’autres sont très maniaques à ce sujet). Des croquis préliminaires seront utiles aussi bien pour le design des personnages que pour la position de ceux-ci sur les event CG ou pour la composition des décors.

Miruku gribouillis

Par exemple, voici le 1e gribouillis que j’ai fourni à mes artistes pour le sprite de Miruku. J’ai essayé de montrer le plus de choses possibles mais je suis bien sûr limitée par mon incompétence en la matière.

Milk 003

A comparer avec ceci qui était le 1e croquis d’Hitode pour représenter le perso. Tout de suite beaucoup mieux, hein ?

J’ai aussi dû m’essayer à l’élaboration d’un schéma architectural pour donner des indications concernant les décors.

BG001

Là on peut voir des tas de carrés censés représenter la ferme Caligula dans son ensemble. Je ne vous fournirai pas la nomenclature qui va avec, par contre, ce serait de la triche.

E) Charte graphique

Que vous soyez en mesure de dessiner ou non, il faut garder un fichier sur le coude qui indique aux graphistes à quoi ressemblent tous les personnages (les tailles des uns par rapport aux autres, les couleurs utilisées), ça évite les confusions quand des dessinateurs s’occupent chacun d’une partie différente du travail et ça permet une meilleur harmonisation. Le fichier doit aussi contenir la résolution du jeu et les tailles que vous exigerez de chaque image. Quand vous serez à un stade plus avancé de la production, vous pourrez demander aux dessinateurs de faire une charte graphique visuelle.

Sur notre fichier, on peut surtout voir la taille des personnages et la couleur de leurs yeux et cheveux. La taille des poitrines a été donnée en privé 8).

charte graphique ep1

Et du coup cette image que vous voyez tout le temps est en réalité notre charte graphique visuelle des héroïnes.

Conclusion

Vous avez déterminé avec précision les ressources dont vous aurez besoin et le scénario est achevé, pour passer à la production il ne vous manque donc plus que des coéquipiers motivés et prêts à vous épauler dans votre tâche. C’est à ce moment qu’il pourrait être le plus judicieux de rendre public votre projet, à mon avis. Mais pour ce qui est du recrutement des coéquipiers et du travail en équipe…ce sera pour le prochain article où vous pourrez enfin voir comment on travaille entre membres dans la team. Je l’illustrerai avec plein de « vrais » croquis et d’essais de pistes =).

Helia

La composition et ses rouages

Le jour où notre chère chef de projet Helia m’a proposé de concevoir la musique de son oeuvre, j’étais assez perdu. La composition musicale était pour moi une sorte de jouet, un petit passe-temps hebdomadaire auquel un ami m’avait initié un certain temps auparavant. D’ailleurs, c’est peut-être pour ça que jusqu’à très récemment je ne faisais jamais de musiques complètes. J’aimais bien créer de nouveaux bruits, ou plutôt de nouvelles sonorités, et bien souvent c’était assez inaudible…

Aperçu

Une musique complète, au final, c’est beaucoup de restrictions ! Il faut une introduction, un développement et une fin, la durée est quasiment réglementée  ( 1:30 à 5 minutes, rares sont ceux qui font des musiques de plus d’une demie heure -petite dédicace à Genesis !) et le plaisir de créer vient surtout pendant le développement des phrases musicales principales (c’est d’ailleurs souvent par le milieu que je commence à composer une musique).

Bref, à ce moment-là, je n’avais à peine qu’une dizaine de compositions « sérieuses » au compteur, le reste étant des essais, des gribouillis comme celui montré plus haut. On pourrait presque parler d’âmes de musique, vu que seul l’essence de la musique m’intéressait (enfin, ma vision de l’âme d’une musique). Mais la curiosité l’a emporté… La curiosité d’essayer de me tâter à un projet réellement sérieux, avec restrictions, plannings, et surtout une carotte finale bien juteuse : un beau jeu avec un peu de moi dedans !

Mais voilà, j’ai rapidement découvert quelque chose : composer, inventer, imaginer ne se fait pas à volonté. Et alors que certains artistes composent sans répit et sortent des albums incroyables de créativité chaque mois (je pense notamment à Lapfox, allez voir ce qu’il fait, c’est gratuit en plus !), d’autres, plus posés, ou dont la muse inspiratrice se fait plus rare, créent leurs oeuvres sur plusieurs mois, voire plusieurs années (voir Zektbach, un type très doué). Je fais de mon côté partie de la deuxième lignée, et la bande-son de la « vitrine » de MILK m’aura pris 6 mois, alors que je prévoyais la finir en deux fois moins de temps.

Mais trêve de bavardages, je vous crée ce petit article afin de vous faire partager et comprendre un peu comment nous nous en sommes pris, à la Träumendes Mädchen, pour développer la musique du projet « vitrine » du jeu. Pour rappel, cette bande-son comporte environ 35 minutes de musique étendues sur un peu plus d’une dizaine de musiques.

Voilà déjà un petit extrait du premier mail que m’avait envoyé Helia vis-a-vis de la bande-son du jeu. On voit déjà un peu l’idée globale et ce que vous pourriez avoir dans les oreilles :

ss+(2012-09-18+at+06.57.36)

 

Evidemment que c’est dans mes cordes ! J’aime normalement la musique traditionnelle/celtique et depuis tout petit on m’a bercé dedans ! Mais, ça veut dire quoi, faire une bande-son celtique ?

Au final, parler d’une bande-son celtique/traditionnelle serait assez pompeux de ma part. Si j’avais fait une vraie bande-son celtique, elle n’aurait pas été exploitable car trop de personnalité et pas assez « invisible » (ça me fait penser à un certain Erik Satie, mais passons…). Donc, un peu comme on peut voir dans l’OST « Shikkoku no Sharnoth », je suis parti sur une musique « type RPG » en utilisant instruments divers et variés de la musique traditionnelle que sont la cornemuse, la harpe, la vielle à roue, le Bodhrán, la mandoline ou encore le whistle…

Non, je vous ai pas pondu un truc aussi timbré.

Pour vous donner une idée, le document sur lequel j’ai planché pendant 6 mois ressemblait à ça :

ss+(2012-09-23+at+09.56.40)

Liste de musiques pour la démo.

Donc Helia m’a donné comme informations :

  • Une description du type d’ambiance recherchée.
  • Une direction vers laquelle me tourner vis-à-vis des instruments.
  • Des références, des musiques qui selon elle correspondent à ce qu’elle veut.

Je dois dire qu’en tant qu’artiste, le plus important est la description de l’ambiance recherchée. Tout simplement parce que c’est la chose la plus abstraite des informations qu’on m’a donné, et donc que mon imagination peut en sorte « modeler » comme elle lui semble. Le choix des instruments est une solution (en quelque sorte) pour s’y retrouver dans la jungle de moyens pour retranscrire l’ambiance voulue, et enfin les exemples m’ont permis de vérifier que je me trompais pas de chemin.

Lors de la création des musiques, je crois que c’est en partant des instruments demandés que j’ai le mieux réussi à atteindre le résultat recherché. C’est pourquoi vous devriez entendre assez souvent les mêmes instruments pour les mêmes types d’ambiance retranscrites. On pourrait voir ça comme un caractère limitatif, redondant musicalement parlant, mais je pense que c’est un bon moyen pour le lecteur de s’y retrouver. En effet, sans spoiler trop, pendant un bon quart du jeu le lecteur s’éloignera de l’univers créé au début pour partir dans un délire à la Helia, et le retour dans l’univers principal sera (de mon point de vue) assez brutal. Grâce aux instruments j’espère parvenir à transformer ce retour brutal en une espèce de remémoration auditive, genre « Tiens, cette musique ça faisait plusieurs heures de jeu que je l’avais pas écoutée ». Effectivement, une partie du scénario se détachera beaucoup de la harpe, flûtes traditionnelles ou sonorités calmes pour entrer dans un univers beaucoup plus trépidant, fascinant mais aussi dangereux, où les rythmes seront plus orientaux, préférant percus afriquaines, mandolines et guitares à 12 cordes.

Bref bref bref, j’arrête de spoiler ! Voici pour finir ce poste ma foi sûrement un peu imbuvable, une petite vidéo de (seulement !) 30 minutes expliquant aux petits curieux(ses) que vous êtes les subtilités de la composition sur ordinateur. Si vous avez des questions, je vous autorise à spammer (modérément !) la partie commentaires de cet article, ou de la vidéo.

Expliquations vis-à-vis de la MAO.

Et cerise sur le gâteau, voici un rendu de la musique, avec une heure en plus de travail dessus après la vidéo (elle est pas encore finie, loin de là !) :

Aperçu.

Cette musique ne sera écoutable finie que dans la version complète du jeu, vu que c’est la partie sur laquelle je travaille actuellement ! À plus tard, dans vos oreilles ! 😀

Les erreurs courantes en création de visual novel amateur

Il m’arrive très souvent de lurker sur la communauté Lemmasoft, plus gros rassemblement de créateurs de VNs amateurs, et plus généralement sur le web, à la recherche de nouveaux projets intéressants. La pêche se révèle le plus souvent infructueuse parce qu’Internet regorge surtout de jeux qui n’ont jamais aboutis mais je ne désespère jamais de tomber, au détour d’un clic, sur une perle. Les raisons à ce que tant de VNs amateurs se vautrent peuvent être multiples mais elles sont à mon sens toutes dépendantes d’une seule grande problématique: le gouffre entre conception et réalisation.

En effet, la conception est la partie la plus chouette de n’importe quelle œuvre, celle où on balance des idées à droite et à gauche, où tout paraît super cool et révolutionnaire. C’est le point de départ de tout projet, le moment où tout paraît possible, qui génère l’enthousiasme. La phase de conception c’est l’éclair d’imagination qui nous saisit soudainement et qui nous fait brûler de passion. Et puis, c’est quand il faut faire de toutes les idées géniales de la conception une réalité que généralement le bât blesse. On se rend compte que tout ne colle pas, qu’il faut abandonner des choses, en remplacer d’autres, remodeler le scénario de manière à lui offrir une cohérence, anticiper des tas de petits détails insignifiants, penser aux considérations techniques, donc travailler. Et travailler c’est fatiguant, ça demande énormément de temps et d’investissement, ce qu’on ne peut pas tous fournir pour des tas de raisons différentes. Ainsi, beaucoup de projets en apparence géniaux et bien partis, finissent par s’écrouler après quelques lignes de scénario et quelques concept art, au moment où ça commence à devenir sérieux. En réalité le ver était dans le fruit depuis le début.

A partir de cette grande problématique, on peut observer un certain nombre de ramifications qui expliquent que tant de visual novel ne voient finalement jamais le jour. Parce que je me suis vautrée aussi à un moment, comme tout le monde, et que je me dis que ça peut servir à d’autres créateurs, voici donc quelques erreurs courantes dans la création de visual novel amateur que j’ai pu observer. Erreurs qui sont de plusieurs types :

Technique

Les erreurs « techniques » qui sont souvent dues à l’absence de préproduction (si tout va bien j’en parlerai en profondeur dans un prochain article) ou à une préproduction défaillante. En gros, un manque d’anticipation caractéristique des amateurs (vu que ce n’est pas leur métier, ils sont bien obligés d’apprendre sur le tas). Celles-ci peuvent être plus ou moins importantes selon les projets. Il peut s’agir de problèmes de dimensions des images (des sprites qui ne sont pas alignés sur la même taille et qui paraissent donc dépareillés), d’intégration de la boîte de dialogue sur les images (ce qui rogne le bas), d’intégration des éléments de l’interface (qui, si elle paraît anecdotique au premier abord, prend beaucoup de temps de réalisation pour pas grand-chose), un manque d’harmonisation, un problème d’évolutivité (les graphistes peuvent s’améliorer avec le temps et les dernières images auront un style différent des premières). Ou alors, plus délicat, une mauvaise cohésion d’équipe (chacun fait son truc dans son coin). Plus généralement c’est toutes les tâches ingrates et ennuyeuses, mais pourtant très importantes, qui donnent l’impression de faire du sur place alors que la phase de conception donne plutôt l’impression que tout avance très vite. Tout ce qui est anticipation et polissage donc. Rien de plus démotivant, ce qui explique que certains abandonnent.

Objectif

Les erreurs d’objectif, plus profondes, qui font qu’énormément de créateurs pensent à des modèles du genre (les visual novel japonais) et essayent de faire pareil mais sans moyen ni formation.  Forcément, les professionnels étant payés pour leur travail, ils sont dans la capacité de réaliser bien plus de choses que des étudiants qui bossent sur leur temps libre. Vouloir les imiter se révèle contre-productif. Quand on débute, il vaut bien mieux commencer petit et élargir progressivement ses ambitions, ce qui est forcément moins glamour.

Sur Lemmasoft, on voit régulièrement des personnes proposer des concepts bien trop audacieux pour leurs moyens ; parce que des quantités incroyables de ressources sont nécessaires (sauf qu’ils ne s’en rendent pas immédiatement compte : la création d’images prend énormément de temps mine de rien) la faute à un contenu trop imposant ; parce qu’ils veulent donner de l’interactivité et placer le plus de choix possibles pour donner de la liberté au joueur mais que chaque choix devant être réfléchi dans la cohérence globale d’un scénario, les mécanismes deviennent vite très complexes à gérer. Un simple otome game en milieu lycéen qui ne réclamerait que des routes pour 3-4 protagonistes (avec des bonnes et des mauvaises fins), eh bien, c’est déjà trop pour un premier jeu. Un VN qui dépasserait les 2h de lecture en guise de premier projet, c’est presque du suicide (sauf s’il est vraiment peu gourmand en ressources).

Certains vont même plus loin et décident ni plus ni moins que de se jeter le plus vite possible dans un projet commercial en recrutant à tour de bras, ce qui pose des problèmes supplémentaires puisqu’il y a une pression financière non négligeable qui pousse à sortir le jeu et être rentable. Et rentable, on l’est rarement. J’ai en tête l’exemple très particulier de Rising Angel qui promettait un concept novateur avec des graphismes, ma foi, très engageants. Sauf que le chef de projet a tenu à rétribuer les artistes d’emblée en n’ayant pas encore terminé son scénario. Résultat, de nombreux changements scénaristiques en cours de route qui l’obligent à commander toujours plus de graphismes (et donc à perdre toujours plus d’argent). Une petite alpha du jeu est sortie récemment et on y découvre que les images, commanditées à des personnes différentes, ne sont pas bien harmonisées, que l’interface n’a quasiment pas été codée, et que le scénario (le prologue et un bout de la route d’un des persos) se perd finalement assez vite dans sa propre verbosité comme si l’auteur ne savait finalement plus très bien comment combler le nombre de pages annoncé (un million de mots, autant que la Bible). Sauf que Rising Angel lui coûtera, selon ses propres prévisions, la bagatelle de 30 000 euros, en tout et pour tout. Et il hésite encore à rendre le projet payant. Aouch.

Précipitation

Autre type d’erreurs, les erreurs de précipitation. C’est ainsi qu’on verra des groupes bien intentionnées annoncer, dans la foulée, une date de sortie proche pour leur projet. Ce qui est à déconseiller fortement, il vaut mieux éviter de faire tout de suite la promo d’un visual novel en développement si on n’est pas sûr d’arriver au bout parce que cela entraîne une perte de crédibilité (si d’autres projets sont annoncés dans le futur, on ne vous croira plus). Je pense à MariAri Project, lancé officiellement l’été 2010, qui prévoyait une démo dès la fin de l’année et une version complète l’année suivante. Un projet qui n’a toujours pas donné de nouvelles depuis. Et inversement, on verra d’autres personnes travailler dans leur coin sans jamais communiquer sur leur travail, ce qui, à terme, peut tout aussi bien les démotiver (manque de retours, manque d’encouragements, etc).

Comme précipitation, on compte aussi la ruée vers l’élaboration d’un site web qui fasse la présentation du projet alors qu’on n’a quasiment rien pour l’alimenter (il faut tout de même être à un stade avancé pour que ça devienne rentable) et qui finira par être abandonné. Ou encore la ruée vers le recrutement de coéquipiers pour former l’équipe la plus fournie possible. Sauf que, pour un visual novel comme pour autre chose, il est inutile de contacter des personnes oeuvrant à des points trop éloignés de la création. Par exemple recruter à la fois un scénariste (pour moi ça compte comme préproduction mais c’est à débattre), un dessinateur, un compositeur, un programmeur (production) et un bêta testeur (post-production). Dam’s en parle mieux que moi sur son propre blog (la question de « l’organigrammite »), allez donc lire ses articles si vous voulez approfondir le sujet. Toujours est-il que recruter trop de monde tout de suite est nuisible parce qu’une équipe vaste est toujours plus difficile à gérer qu’un petit groupe. Le seul contre-exemple en la matière (qui sert malheureusement d’exemple à des créateurs qui n’ont probablement pas visualisé le problème) est Katawa Shoujo qui a réussi à être mené à bien avec une grande équipe mais dans le sang, la souffrance, et avec un bon paquet d’années de développement. Ceux qui lisent mon blog savent ce que je pense du résultat…

Conceptualisation

Mais finalement, le type d’erreurs le plus ennuyeux est sans doute les erreurs de conceptualisation, des erreurs qui sont présentes dès le début. Quand on commence à écrire, on a souvent l’impression que ce qu’on invente et génial, super original, et qu’il ne faut surtout pas en parler de trop en public, au risque de se faire piquer ses idées (personnellement, je reste secrète sur mon script mais c’est surtout parce que j’ai un peu honte d’en montrer le contenu…). Sauf qu’au début, majoritairement lorsqu’on a encore trop peu d’expérience dans l’écriture, on a surtout à l’esprit un grand modèle qu’on cherche à imiter « mais en mieux », on cherche à réaliser le jeu de nos rêves. D’où pléthore de projets sur Lemmasoft qui possèdent un nom en japonais (récemment le titre « Saigo no Chansu » a attiré mon attention), ce qui, à mon avis, peut être le symbole d’un manque de personnalité, et mettent en scène des adolescents dans un lycée japonais.

Or à mon sens, on n’écrit pas une histoire parce qu’on veut plaire à un certain public ou parce qu’on aime lire ce genre de choses, on écrit une histoire parce qu’on veut la raconter, absolument, et que c’est ce qui nous motive à poursuivre. Le visual novel n’est pas très éloigné de son cousin le livre de papier sur ce point. Le problème avec le concept de créer le jeu de ses rêves, c’est qu’au final, on pourra rarement élaborer un « Clannad / Higurashi / Tsukhime / Narcissu / Katawa Shoujo » (rayez la mention inutile) en mieux avec des moyens amateurs. Et que c’est démotivant de n’avoir qu’une version cheap de notre œuvre préférée (évidemment japonaise, sinon « japonaisante », comprendre « qui utilise toujours la culture japonaise comme toile de fond ») à proposer. D’où l’intérêt d’arriver à s’émanciper des clichés japonais pour gagner davantage de liberté d’expression. Et puis, pourquoi se forcer à parler d’un sujet qu’on ne connaît bien souvent qu’à travers la japonimation, quand on peut parler d’un sujet qui nous touche de près dans notre vie quotidienne ? Je suis toujours immensément déçue quand je vois que les créateurs amateurs de VNs intègrent toujours le même sempiternel background. C’est un poil le cas dans Katawa Shoujo (qui aurait pu se passer dans un autre pays que le Japon) mais ça l’est surtout pour un jeu comme Shira Oka qui ressemble à une sorte de dating sim fade et édulcoré alors qu’il partait sur un concept prometteur.

Ultimement, le problème n’est pas tant les stéréotypes japonais que ce qu’on en fait. Tout est stéréotype et la recherche absolue d’originalité m’apparaît comme une chimère. En voulant à tout prix être original, on ne fait que foncer dans un cliché autre que celui qu’on voulait éviter. L’important c’est la réalisation ; la façon dont on s’approprie le stéréotype pour en livrer une vision personnelle. Sauf que peaufiner la réalisation, eh bien, ça demande un sacré boulot.

On en revient un peu à ce fameux gouffre entre conception et réalisation. Tout le monde a en soi tout un univers qui ne demande qu’à être exploité, mais seule une petite partie de la population sait réellement l’utiliser (les artistes), ce qui exige qu’on s’arme de patience, mais pas seulement : ça s’apprend. Et pour apprendre, il faut se vautrer. Souvent. Et savoir en retirer quelque chose à chaque fois. Ou alors analyser les erreurs des autres pour essayer de limiter la casse le plus possible. L’air de rien, ce n’est pas si facile…

Helia

La conception de la musique de Being Beauteous

Bonjour et bienvenue sur ce devblog flambant neuf ! Vous devriez voir ici régulièrement des articles touchant plus ou moins à l’avancement de nos productions, ou même des articles sur des choses qui nous tiennent à coeur, Helia nous laissant un peu de marge pour raconter des bêtises tout plein. Ça, c’est parce que je suis trop gentille.

Je suis Roganis, compositeur et sound-designer de l’équipe, et accessoirement masseur personnel de Helia. J’ai déjà des masseurs attitrés. Tu sais très bien que tu es mon fils spirituel et, parce que l’inceste spirituel c’est mal, je ne peux pas te confier ce boulot. Maintenant retourne dans la cave.

Dans le monde du visual novel francophone, j’ai principalement été dans la team de traduction « Tsukiyo-Novel », avant de me plonger corps et âme dans la composition de musiques pour visual novels. J’ai commencé à accepter des demandes venant de créateurs de chez Lemmasoft quand Helia m’a attrapé dans ses filets pour partir dans ses aventures rocambolesques ! Des aventures qui commencent alors que je ne suis pas très préparé… En effet, je ne compose que depuis peu (environ deux ans) et ce que je fais est écoutable depuis encore moins longtemps (six mois à tout casser !), je n’ai aucune réelle connaissance théorique vis-à-vis de la musique, et ma manière de composer, qui tient du feeling pur a encore beaucoup de progrès à faire !

Maintenant que les présentations sont faites en quelque sorte, je vais donc vous parler de ce qui est vraiment intéressant : Being Beauteous ! Si je laisserais Helia parler de sa conception dans ses articles, je vais vous parler de la partie me concernant : la musique (et LE bruitage).

Helia a été plutôt claire, il fallait une OST qui soit simple, avec un loop facile (la chanson redémarre sans qu’on s’en rendre trop compte), qui colle au thème du visual novel, et avec des instruments tels que la boite à musique, le vibraphone… Des instruments qui prennent la musique par son essence même, des notes presque pures (enfin, je le sens comme ça, feeling feeling comme d’habitude !). Pour le thème principal j’avais deux inspirations, le prologue de la Belle et la Bête et la musique de titre du jeu Ib, et pour la musique féérique, la reprise de Bibidi bobidi bou par Yoko Shimomura dans le jeu Kingdom Hearts Birth By Sleep, ce sont les seules pistes que j’ai soumises à Roganis pour l’inspirer.

J’ai immédiatement fait la connexion avec une OST qui reste profondément inscrite dans mon coeur, celle de True Remembrance, par Amor Kana. On retrouve dedans des musiques quasiment exclusivement composées à l’aide d’instruments à percussion comme les vibraphones, xylophones, boites à musique… Qui durent en général moins de une minute, et surtout, surtout, qui peuvent être entendues des centaines de fois (Oh god, combien de fois l’ais-je écoutée cette bande-son ?). Je vous invite donc à comparer les deux OST, vous y trouverez des ressemblances, sans partir dans un plagiat quelconque ! (et de toute façon la bande-son de Being Beauteous reste moins mewsome, mais, oh well, je l’ai faite en une nuit quand même ! =3)

Roganis

Compositeur