Les coulisses de la création de VN : l’enfer de la production

Chose promise, chose due. Après avoir évoqué en long, en large et en travers la pré-production (qui est une étape pas forcément super réjouissante, je suis bien d’accord), il est temps de passer à l’élaboration des « assets », c’est-à-dire le moment où le projet doit se concrétiser, une étape bourrée de pièges qui n’a qu’une seule visée : vous décourager.

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Une version alternative du décor avec les télévisions (@Melow et Hitman)

L’article qui suit ne vaut que si vous souhaitez diriger une équipe et que vous n’êtes pas graphiste vous-même : en effet travailler seul et avoir la main-mise sur une partie de la production graphique simplifient le processus puisque la bonne marche du projet ne repose plus que sur votre motivation et votre temps libre (on est d’accord que ce n’est pas facile pour autant). Je disais donc que, quand on ne possède pas toutes les compétences requises pour créer un visual novel et qu’on n’a pas non plus d’ami talentueux sous la main, on peut toujours essayer de recourir à la magie d’Internet pour rechercher des coéquipiers.

Le recrutement : facteur chance

Recruter des artistes est loin d’être facile, vous vous en doutez. Vu que la plupart des graphistes professionnels se font payer, en l’absence de moyens financiers, il faudra aller piocher chez des amateurs, et si possible des amateurs pas trop amateurs, dans le sens où la plupart du temps les gens préfèrent avoir un graphiste qui se comporte et dessine comme un professionnel pour plus de commodités. Bonjour le casse-tête. D’autant plus qu’un bon nombre d’illustrateurs ne connaissent pas le média et peuvent très bien hausser les sourcils lorsqu’on les sollicite sous une forme de porte-à-porte virtuel. L’idéal est bien sûr un graphiste impliqué dans le milieu VN et se débrouillant raisonnablement bien mais je ne vous surprendrais pas en vous révélant que ce type de personnes est très demandée. C’est la même chose avec les musiciens, d’ailleurs. Si vous avez de l’argent, ce sera plus facile d’embaucher quelqu’un mais d’autres soucis se poseront et il existe des tas de conseils pour ça sur Lemmasoft (par exemple la valeur d’un asset, comment bien rémunérer l’artiste).

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Un problème d’anatomie qu’il fallait règler (@Melow)

Quelques éléments favorables

Dans tous les cas, je n’ai guère d’astuces-miracle pour attirer d’éventuels artistes mais je pense que quelques éléments sont nécessaires :

  • Montrer sa motivation. Personne n’aura envie de joindre un projet qui menace de s’effondrer au moindre moment parce que ce n’est pas agréable de voir son travail gaspillé. En tant que chef de projet, il faudra donc prouver qu’on compte aller jusqu’au bout. Ce sera déjà plus facile si le scénario et la partie pré-production sont achevés (vous montrez que vous avez de la suite dans les idées) et encore davantage si vous avez des précédents en gage de bonne foi. Aussi il peut être utile de compléter d’abord un petit projet ou d’avoir un prototype du jeu avec des placeholders ou des images dessinées par vous-mêmes en attendant les « vraies » illustrations.
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A quoi ressemblait Milk avant même qu’il y ait de graphismes. Fort heureusement personne n’a jamais lu cette version.

  • Ne pas jouer la carte du secret. Je suis un peu coupable de cette manie-là mais je sais parfaitement que ça ne sert à rien de cacher ses idées. Certains amateurs en recherche de graphistes qui traînent sur Lemmasoft débarquent avec 2-3 phrases d’un projet absolument génial mais refusent d’en dire plus quand on les questionne. Personne ne peut vous rejoindre dans des conditions pareilles. Il faut donner les clefs aux gens pour qu’ils s’intéressent à ce que vous faites et là c’est comme leur claquer la porte au nez.
  • Se faire connaître. Plus compliqué à exécuter mais si c’est possible, il ne faut pas hésiter. Pour ma part, je n’ai pu connaître mes collaborateurs actuels que grâce à mon blog personnel, tenu pendant des années. Je n’étais pas particulièrement célèbre mais à force de poster, quelques personnes ont fini par me connaître, ce qui fait que lorsque j’ai lancé mon annonce, les retours ont été plutôt favorables justement parce que ceux qui me lisaient connaissaient un peu mon fonctionnement et ma personnalité.

Esprit d’équipe y es-tu

Au début de Milk, je partais du principe que je n’avais aucune légitimité à demander un service à un inconnu, aussi avais-je cru qu’il serait préférable de me montrer froide et distante pour ne pas embêter les gens dans leur vie personnelle. J’ai vite changé d’avis. Les gens ont besoin de contact humain et un projet bénévole ne sera jamais comparable à une multinationale au fonctionnement bien rôdé. La meilleure façon d’avancer dans le cadre d’un visual novel amateur est donc davantage de créer un esprit d’équipe…ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Connaître ses coéquipiers, leur montrer qu’on les écoute, qu’ils ont voix au chapitre, avoir de l’empathie quant à leur situation IRL, tous ces éléments ont bien plus de chance de souder les personnes qui travaillent ensemble.

C’est même encore mieux quand on peut avoir des discussions informelles et se découvrir des points communs car, je ne vous apprends rien, c’est plus facile de travailler pour quelqu’un avec qui on s’entend bien. La seule contrepartie c’est que s’il y a besoin de virer un coéquipier pour des raisons purement techniques (il ne correspond plus à vos attentes ou n’a plus le temps pour vous aider, par exemple), ça va nécessairement empiéter sur le personnel et devenir beaucoup plus dur à encadrer. Personne ne veut dire à un ami « Désolé, tu t’es investis à fond sur ce qui était notre projet, maintenant je vais engager Machin à ta place, je le connais à peine mais il travaille mieux ». Il faut donc bien réfléchir à qui on recrute dès le début, poser les bases du contrat pour éviter de s’embourber des mois plus tard et avoir une bonne dose d’honnêteté pour expliquer directement à la personne concernée quel est le problème et comment le résoudre.

En dehors de cette problématique, l’esprit d’équipe apparaît comme une composante cruciale mais pas forcément suffisante. D’ailleurs, participer à un concours de création en temps limité (tel que le Nanoreno) est une manière enrichissante de favoriser la cohésion de groupe : le cadre temporel est le même pour tous, ce qui pose un pied d’égalité, et le but est de se dépasser pour atteindre un objectif, avec à la clé la reconnaissance de son travail. Cependant ce n’est pas un bon indicateur de la solidité du groupe dans le sens où certains membres peuvent être performants sous la pression et se retrouver incapable de tenir sur du long terme. Or Dieu sait qu’un VN prend du temps !

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Différents essais pour la couverture du jeu (@Morsy)

Plus on est de fous, plus on…non, c’est pas vrai

A noter que, contrairement à ce que l’on peut penser, plus l’équipe est vaste, plus elle est difficile à gérer. Il est donc parfaitement contre-productif de rameuter six graphistes, trois compositeurs et douze scénaristes. Imaginez bien qu’en tant que chef de projet, vous devez passer dans le dos de tout le monde pour vérifier que tout se passe bien et répondre aux questions de chacun, ce qui demande de la concertation et du temps. Plus l’équipe est large, plus il faudra naviguer et je ne vous parle même pas de l’horreur absolue que doit représenter le fait de négocier avec plusieurs scénaristes pour savoir exactement ce qui se passe dans quelle route et être sûr que tout est cohérent. Ca plus le fait que s’il y a 20 personnes à « inspecter », bonjour la somme de travail. Surtout que les emplois du temps ne se croisent pas toujours comme on le voudrait : Machine n’est dispo que le mercredi soir mais Bidule non parce qu’il a cours de Yoga, et Truc a besoin de cette info capitale avant vendredi parce qu’il part en weekend chez sa famille et…Imaginez s’il faut rajouter le décalage horaire ! C’est juste ingérable, ce qui explique pourquoi les créateurs de Katawa Shoujo implorent les joueurs de ne pas imiter leur management. Malgré cela, il y en a encore qui se lancent dans un VN avec une équipe large, ce qui les ralentit fortement.

Dream versus reality

Pour le reste, c’est au chef de projet de voir quel style correspond le mieux à son univers et avec quelle personne il a le plus d’atomes crochus…même si bien souvent vous n’aurez qu’un choix limité de coéquipiers. A ce propos, le décalage entre le monde qui est dans la tête du manager et le résultat concret est souvent un facteur d’abandon : on s’imagine avec une ambiance graphique et sonore grandiose, prête à épater la galerie, et au final il faut composer avec le fait que ce ne sont jamais que des bénévoles qui acceptent de travailler pour vous et qu’ils ne peuvent pas forcément faire des miracles. A partir de là il y aura ceux qui acceptent de faire avec les petits défauts qu’on leur présente et ceux qui n’acceptent pas. On me fait souvent remarquer que Milk a des graphismes dépareillés. Evidemment, j’aurais préféré quelque chose de plus harmonieux mais si c’est le seul prix à payer pour que l’histoire prenne vie, je l’accepte. C’est une conséquence très logique d’un projet de longue haleine gourmand en ressources : aucun artiste ne peut s’attarder trop longtemps car il a une vie en dehors et demander au nouvel arrivant de tout refaire est absurde lorsqu’il est évident qu’il n’aura jamais le temps de dessiner tout ce qui est prévu.

Le recrutement des membres de l’équipe est donc une étape très importante qui demande un niveau d’exigence ni trop fort (sinon le projet va mourir), ni trop faible (sinon la qualité du projet va s’en ressentir). Mais revenons à nos moutons. Maintenant vous avez votre équipe toute flambante, toute neuve, et bien évidemment motivée, c’est génial, la vie est rose, les papillons brillent et le soleil souffle. Enfin, en admettant que vous ayez trouvé une répartition des tâches qui vous convienne (il peut arriver qu’un projet nécessite plusieurs graphistes et dans ces cas-là il faut bien déterminer qui s’occupe de quoi et comment faire pour réduire l’écart de style). Sauf que voilà, il va falloir la manager tout le long de la production. Voici comment ça se passe chez nous…

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Croquis pour un chibi qui n’a finalement jamais été inclus dans le jeu (@Morsy)

La production : un long chemin parsemé d’embûches

Vous allez donc découvrir avec effarement ce que je fais de ma journée quand je ne suis pas en cours. Au risque de vous décevoir, ce n’est pas particulièrement trépidant.

Procédure type

Un graphiste m’a fixé rendez-vous tel jour à telle heure parce qu’il a un petit créneau à me consacrer. Je profite donc d’un trou dans mon emploi du temps parfois crée pour l’occasion parce que mon cours n’était pas passionnant, AHEM pour me connecter sur Skype et ouvrir les fichiers de pré-production relatif au sujet de discussion. Evidemment, comme on est pas des chiens, on se salue et on échange quelques politesses avant : c’est important de savoir dans quel état d’esprit se trouve l’interlocuteur parce que s’il est fatigué/déprimé, ça va peut-être se ressentir au cours de la discussion et il sera alors plus intelligent de lui conseiller de se reposer et reporter l’entrevue à plus tard.

Le graphiste vérifie qu’il a bien compris ce que j’attendais comme type d’image. Je le renvoie à la description figurant sur la liste des ressources nécessaires, au gribouillage que j’ai monté avec des bonshommes bâtons s’il y en a un, à l’image de référence placée dans la Dropbox s’il y en a une. Il peut alors me poser des questions, parfois très pointues : en effet, un scénariste n’a au fond qu’une idée assez floue et modulable de ce qu’il veut, il ne pense pas nécessairement à la teinte de vert de l’herbe ou au motif sur la tapisserie là où le graphiste peut avoir besoin d’un grand nombre d’informations selon la complexité de l’image. C’est dans ces moments que l’on voit l’utilité pour le chef de projet d’être aussi le scénariste : il sait à quel passage de l’histoire l’illustration va renvoyer et peut relire vite fait le texte pour déterminer quel était l’esprit original et quel degré de liberté peut être octroyé au graphiste.

Une fois que le graphiste s’est lancé dans son dessin, je pars travailler sur autre chose (c’est le bonheur d’être multi-tâches). Je peux ainsi manager plusieurs graphistes en même temps pour optimiser mon temps mais cela supposerait qu’ils ont un emploi du temps similaire. Imaginons que c’est une journée lambda et non une grosse journée de travail, je vais donc hypothétiquement rédiger un article de blog en laissant Skype ouvert pour répondre aux éventuelles interrogations (certains problèmes ne se révèlent que dans la phase pratique, ce serait trop simple si on pouvait tous les anticiper). Le graphiste me soumettra alors un premier croquis et à ce moment je vais pouvoir pinailler en pointant ce qui me déplaît. Le graphiste va alors tenter de corriger et une problématique se pose.

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La création d’un chibi en plusieurs étapes (@Morsy)

Apprendre à lâcher du lest

Quelques fois vous tomberez sur des artistes qui semblent directement reliés à votre esprit : ils reproduisent télépathiquement exactement ce que vous avez dans la tête. Ces gens-là sont rares. Et probablement des robots ou des fantômes venus d’une autre dimension. Va savoir. Le plus souvent, l’artiste, tout bien intentionné qu’il soit, n’a pas la même vision du monde que vous à la virgule près, il peut donc interpréter vos mots de manière différente selon sa sensibilité. Les malentendus sont courants et reposent toujours sur des broutilles mais parfois ça ne se corrige pas. Parfois l’artiste, même en réessayant vingt, trente, quarante fois, n’arrive pas à reproduire exactement ce que vous imaginez. Et ce n’est pas forcément de la faute de quelqu’un. Peut-être qu’il est fatigué, peut-être que vous avez mal expliqué…ou peut-être que ça n’a rien à voir. C’est là qu’intervient une notion importante : savoir quand lâcher prise. Chaque scénariste a une vision différente de son histoire, il peut être très laxiste quant à la représentation de ses personnages comme il peut être incroyablement exigeant sur le moindre détail. Et ça peut aussi dépendre du type d’image : on est généralement plus attaché aux personnages qu’aux décors, par exemple.

Dans le cas de figure où l’artiste n’arrive pas à répondre à vos attentes et que le point de désaccord est relativement important, il y a plusieurs stratégies (que l’on peut cumuler) :

  • Faire un gribouillis s’il y en avait pas déjà, dessiner vous-même directement sur l’image du graphiste (une copie, hein, pas l’original) pour lui montrer la modification que vous désirez.
  • Reformuler, essayer d’utiliser les mots de la personne, comprendre ce qui bloque en posant des questions sans pour autant l’accuser.
  • Se reposer sur un modèle et demander ce qui empêche de l’utiliser, voire en chercher d’autres.
  • Proposer à l’artiste plus de liberté en lui demandant des suggestions. Après tout, il peut avoir de biens meilleures idées que vous, c’est stupide de se braquer pour un détail.
  • Vérifier que ce n’est pas la fatigue qui crée le blocage ou les conditions de travail (par exemple le graphiste est en train de bosser sur deux choses à la fois à cause du surmenage, il s’emmêle donc les pinceaux et vous ne pouvez pas le savoir sans le lui demander), auquel cas il suffirait de remettre ça à plus tard.

Si le problème persiste, il va falloir faire la part entre ce que vous jugez crucial ou non. Le graphiste n’est pas un robot, il va vite se lasser de refaire la même illustration en boucle. Exiger de lui qu’il recommence encore et encore c’est courir le risque de le décourager (et donc qu’il quitte l’équipe parce qu’il ne se sent pas bien) et c’est aussi perdre un temps qui peut être précieux. Dans ce cadre, il y a des moments où je vois l’artiste aller à l’encontre de ce que je lui ai demandé et où je préfère dire « Très bien, on la garde » parce que j’ai bien vu qu’il était motivé/qu’il a passé beaucoup de temps dessus/que la deadline a été dépassée depuis longtemps et qu’il serait bien que le VN voie le jour. C’est une histoire de priorité. J’accepte régulièrement un travail un peu bâclé, quitte à passer derrière ou à demander à un autre artiste d’effacer la ligne qui dépassait en haut à gauche. Parce qu’au fond ça ne vaut pas la peine de terroriser quelqu’un qui vous aide bénévolement sur son temps libre. Le sacrifice demandé n’est pas non plus anodin : personne ne les force à venir bosser pour vous, ils sont là parce qu’ils y voient un intérêt, autant rendre l’expérience la plus agréable possible et votre rôle en tant que manager c’est avant tout de faciliter la vie de vos coéquipiers. N’oubliez pas cette notion, je la trouve réellement importante.

Imaginons que vous avez approuvé le sktech du graphiste, il va donc réaliser le lineart et reviendra probablement vous voir pour être sûr que les couleurs sont les bonnes. Mais ce qui est fun dans cette histoire c’est que selon le temps dont il dispose, l’étape que vous venez de lire peut très bien s’étaler sur plusieurs jours et il faudra alors forcément répéter les indications initiales à un moment ou à un autre pour ne pas s’y perdre. Encore plus fun, vous pouvez répartir le travail entre deux personnes, mettons un artiste pour le lineart et un artiste pour la mise en couleur. Ce qui suppose que la 2e personne comprenne comment fonctionne le dessin de la première. Un costume un peu original, par exemple, posera des problèmes parce qu’on ne visualisera pas toujours ce qu’est censé être chaque élément et comment s’applique la couleur. Ou alors la 2e personne aura du mal à se retrouver dans les calques de la 1e parce qu’elle n’a pas la même manière de les ranger.

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Exemple d’images qui diffèrent de l’idée originale : le costume disco et le peignoir (@Morsy et Melow)

Se montrer flexible

Ensuite il faut prendre en compte la personnalité du graphiste. Inutile de le forcer à adopter un mode de fonctionnement qui ne lui convient pas, ça serait contre-productif. Le plus intelligent est d’arriver à cerner à peu près comment il agit pour s’appuyer sur ses atouts et essayer de gommer ses failles. Par exemple, une personne peut avoir d’immenses complexes et ne jamais se sentir à la hauteur mais dès qu’on la valorise un peu, on se rend compte qu’elle fait un super boulot. Une personne peut agir en parfaite autonomie là où une autre a besoin d’être régulièrement sollicitée pour se motiver, etc. Le rôle du chef de projet est alors de choisir une organisation basée autant que possible sur les caractéristiques de ses coéquipiers et de venir régulièrement discuter avec ses troupes pour faire le point. Parce que les obstacles vont être nombreux. Travail avec des bénévoles oblige, chaque artiste va régulièrement s’absenter à cause d’un empêchement IRL. Le tout est d’arriver à avoir une relation de confiance pour être mis au courant de l’absence et la prendre en compte. Un membre qui disparaît du jour au lendemain ça plonge dans le doute, un membre qui est occupé par la vie c’est normal et compréhensible. Il s’agit de se réadapter à chaque changement de cap, de trouver un moyen de rebondir sur ses pattes et de continuer à avancer vers la sortie du projet. Etre suffisamment ferme pour que le VN continue mais ne pas se cambrer sur ses positions pour que les artistes respirent et puissent avoir de la marge de manœuvre.

Ce processus est sensiblement le même quel que soit le type de graphismes, même si l’interface est particulièrement complexe à gérer (chaque menu compte limite comme une illustration sur laquelle il faut discuter) parce qu’il faut sans arrêt garder en tête les principes d’ergonomie et de cohérence tout en demandant l’avis du programmeur qui va intégrer l’ensemble. Et il est facile de passer à côté d’un détail qui a son importance.

La musique est un peu à part puisqu’il est extrêmement difficile pour le chef de projet d’avoir vraiment des éléments à apporter s’il n’a que très peu de connaissances musicales. Il ne peut pas faire de croquis ou critiquer l’anatomie et se borne donc à donner des exemples ou à essayer d’expliquer avec des mots ce qu’il voudrait voir réajusté. Quant à la programmation…la programmation demande surtout de comprendre le langage du programmeur pour arriver à s’entendre, c’est davantage une histoire de communication 8).

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Un décor en plusieurs étapes (@Elairin)

Faire sens

Ce qui ressort de ma description de la vie en équipe restreinte et que je vais décrire avec plus de détails c’est que le chef de projet doit mettre les mains dans le cambouis et donner son avis dans les différents domaines de création. Ce n’est pas très drôle pour lui parce que le travail qui lui revient est souvent le travail ingrat dont personne ne veut, mais ça le force à savoir ce qu’il veut : il ne peut se reposer que sur lui pour rassembler les assets et leur donner du sens, il n’a pas le luxe de botter en touche parce que la survie du projet lui incombe en grande partie. En effet, même si tous les artistes arrivent à finir leur travail super vite et super bien, il reste tout un travail de rassemblement et d’intégration sans lequel le VN ne verrait pas le jour.

Voilà concrètement ce que je dois faire :

  • Exporter toutes les expressions des sprites. Chaque élément, que ce soit une paire de sourcils un poil plus froncée, une bouche différente ou une goutte de sueur, multipliant le nombre de variantes, il est apparu que le travail d’exportation prenait un temps fou à l’artiste, c’est donc désormais moi qui le fait grâce à un logiciel graphique à trouze mille balles que j’ai bien évidemment acheté sur ma fortune personnelle, AHEM.
  • Coller ces expressions dans le dossier du jeu et les définir dans le code.
  • Indiquer dans le code quelle expression va à quel endroit, positionner chaque personnage, ce qui prend une somme de temps incroyable quand on a beaucoup de personnages qui changent beaucoup d’expression.

Je dois intégrer les autres illustrations, bien sûr, mais aussi m’assurer que tout est en ordre. Si une pose a des traces blanches sur le côté, il faudra l’exporter de nouveau, si des sprites se chevauchent, qu’un décor s’affiche mal, il faudra demander l’expertise du programmeur. En tant que chef de projet, je dois rectifier toutes les erreurs que je vois (les miennes y compris) et des fois changer légèrement le texte pour m’adapter aux changements graphiques. Et c’est sans compter l’intégration de la traduction anglaise, que je préfère réaliser quand le code est à peu près définitif et qui consomme un temps juste pharamineux. J’ai calculé qu’il me fallait environ 4h toutes les 1000 lignes de code, en sachant qu’il peut y avoir entre 5 000 et 6 000 lignes en tout. Je vous laisse faire le calcul, ça me prend une bonne semaine.

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Croquis de personnages secondaires (@Laniessa)

Conclusion

Le travail de « chef » peut paraître bête et méchant, tout comme discuter avec chaque artiste peut sembler bien léger, mais mis bout à bout, les deux prennent un temps considérable. Manager une équipe demande de la présence et une grande dose de motivation pour affronter toutes les difficultés qui se dressent sur votre chemin, tous les imprévus. Pour arriver jusqu’au bout, vaut mieux ne pas trop douter et aimer sincèrement son projet, malgré ses failles, malgré l’adversité, aimer ce qu’on fait et aimer travailler avec les gens qui vous entourent. Le chef de projet doit rester humble, faciliter la vie de ses coéquipiers et donner du sens au projet pour mener à bien la production du visual novel. C’est de l’enchevêtrement des circonstances positives comme négatives qui accompagneront chaque artiste et sa capacité à les motiver dont dépendra l’avancement plus ou moins rapide de la production. C’est pourquoi il ne lui est pas permis de désespérer.

P.S : Cela fait longtemps que je n’ai pas parlé de l’avancement de Milk, je plaide coupable, néanmoins le projet avance toujours ! Surveillez bien les réseaux sociaux et le site, des nouvelles vont tomber prochainement…et peut-être même des vidéos si tout se passe bien ~

Helia