Les erreurs courantes en création de visual novel amateur

Il m’arrive très souvent de lurker sur la communauté Lemmasoft, plus gros rassemblement de créateurs de VNs amateurs, et plus généralement sur le web, à la recherche de nouveaux projets intéressants. La pêche se révèle le plus souvent infructueuse parce qu’Internet regorge surtout de jeux qui n’ont jamais aboutis mais je ne désespère jamais de tomber, au détour d’un clic, sur une perle. Les raisons à ce que tant de VNs amateurs se vautrent peuvent être multiples mais elles sont à mon sens toutes dépendantes d’une seule grande problématique: le gouffre entre conception et réalisation.

En effet, la conception est la partie la plus chouette de n’importe quelle œuvre, celle où on balance des idées à droite et à gauche, où tout paraît super cool et révolutionnaire. C’est le point de départ de tout projet, le moment où tout paraît possible, qui génère l’enthousiasme. La phase de conception c’est l’éclair d’imagination qui nous saisit soudainement et qui nous fait brûler de passion. Et puis, c’est quand il faut faire de toutes les idées géniales de la conception une réalité que généralement le bât blesse. On se rend compte que tout ne colle pas, qu’il faut abandonner des choses, en remplacer d’autres, remodeler le scénario de manière à lui offrir une cohérence, anticiper des tas de petits détails insignifiants, penser aux considérations techniques, donc travailler. Et travailler c’est fatiguant, ça demande énormément de temps et d’investissement, ce qu’on ne peut pas tous fournir pour des tas de raisons différentes. Ainsi, beaucoup de projets en apparence géniaux et bien partis, finissent par s’écrouler après quelques lignes de scénario et quelques concept art, au moment où ça commence à devenir sérieux. En réalité le ver était dans le fruit depuis le début.

A partir de cette grande problématique, on peut observer un certain nombre de ramifications qui expliquent que tant de visual novel ne voient finalement jamais le jour. Parce que je me suis vautrée aussi à un moment, comme tout le monde, et que je me dis que ça peut servir à d’autres créateurs, voici donc quelques erreurs courantes dans la création de visual novel amateur que j’ai pu observer. Erreurs qui sont de plusieurs types :

Technique

Les erreurs « techniques » qui sont souvent dues à l’absence de préproduction (si tout va bien j’en parlerai en profondeur dans un prochain article) ou à une préproduction défaillante. En gros, un manque d’anticipation caractéristique des amateurs (vu que ce n’est pas leur métier, ils sont bien obligés d’apprendre sur le tas). Celles-ci peuvent être plus ou moins importantes selon les projets. Il peut s’agir de problèmes de dimensions des images (des sprites qui ne sont pas alignés sur la même taille et qui paraissent donc dépareillés), d’intégration de la boîte de dialogue sur les images (ce qui rogne le bas), d’intégration des éléments de l’interface (qui, si elle paraît anecdotique au premier abord, prend beaucoup de temps de réalisation pour pas grand-chose), un manque d’harmonisation, un problème d’évolutivité (les graphistes peuvent s’améliorer avec le temps et les dernières images auront un style différent des premières). Ou alors, plus délicat, une mauvaise cohésion d’équipe (chacun fait son truc dans son coin). Plus généralement c’est toutes les tâches ingrates et ennuyeuses, mais pourtant très importantes, qui donnent l’impression de faire du sur place alors que la phase de conception donne plutôt l’impression que tout avance très vite. Tout ce qui est anticipation et polissage donc. Rien de plus démotivant, ce qui explique que certains abandonnent.

Objectif

Les erreurs d’objectif, plus profondes, qui font qu’énormément de créateurs pensent à des modèles du genre (les visual novel japonais) et essayent de faire pareil mais sans moyen ni formation.  Forcément, les professionnels étant payés pour leur travail, ils sont dans la capacité de réaliser bien plus de choses que des étudiants qui bossent sur leur temps libre. Vouloir les imiter se révèle contre-productif. Quand on débute, il vaut bien mieux commencer petit et élargir progressivement ses ambitions, ce qui est forcément moins glamour.

Sur Lemmasoft, on voit régulièrement des personnes proposer des concepts bien trop audacieux pour leurs moyens ; parce que des quantités incroyables de ressources sont nécessaires (sauf qu’ils ne s’en rendent pas immédiatement compte : la création d’images prend énormément de temps mine de rien) la faute à un contenu trop imposant ; parce qu’ils veulent donner de l’interactivité et placer le plus de choix possibles pour donner de la liberté au joueur mais que chaque choix devant être réfléchi dans la cohérence globale d’un scénario, les mécanismes deviennent vite très complexes à gérer. Un simple otome game en milieu lycéen qui ne réclamerait que des routes pour 3-4 protagonistes (avec des bonnes et des mauvaises fins), eh bien, c’est déjà trop pour un premier jeu. Un VN qui dépasserait les 2h de lecture en guise de premier projet, c’est presque du suicide (sauf s’il est vraiment peu gourmand en ressources).

Certains vont même plus loin et décident ni plus ni moins que de se jeter le plus vite possible dans un projet commercial en recrutant à tour de bras, ce qui pose des problèmes supplémentaires puisqu’il y a une pression financière non négligeable qui pousse à sortir le jeu et être rentable. Et rentable, on l’est rarement. J’ai en tête l’exemple très particulier de Rising Angel qui promettait un concept novateur avec des graphismes, ma foi, très engageants. Sauf que le chef de projet a tenu à rétribuer les artistes d’emblée en n’ayant pas encore terminé son scénario. Résultat, de nombreux changements scénaristiques en cours de route qui l’obligent à commander toujours plus de graphismes (et donc à perdre toujours plus d’argent). Une petite alpha du jeu est sortie récemment et on y découvre que les images, commanditées à des personnes différentes, ne sont pas bien harmonisées, que l’interface n’a quasiment pas été codée, et que le scénario (le prologue et un bout de la route d’un des persos) se perd finalement assez vite dans sa propre verbosité comme si l’auteur ne savait finalement plus très bien comment combler le nombre de pages annoncé (un million de mots, autant que la Bible). Sauf que Rising Angel lui coûtera, selon ses propres prévisions, la bagatelle de 30 000 euros, en tout et pour tout. Et il hésite encore à rendre le projet payant. Aouch.

Précipitation

Autre type d’erreurs, les erreurs de précipitation. C’est ainsi qu’on verra des groupes bien intentionnées annoncer, dans la foulée, une date de sortie proche pour leur projet. Ce qui est à déconseiller fortement, il vaut mieux éviter de faire tout de suite la promo d’un visual novel en développement si on n’est pas sûr d’arriver au bout parce que cela entraîne une perte de crédibilité (si d’autres projets sont annoncés dans le futur, on ne vous croira plus). Je pense à MariAri Project, lancé officiellement l’été 2010, qui prévoyait une démo dès la fin de l’année et une version complète l’année suivante. Un projet qui n’a toujours pas donné de nouvelles depuis. Et inversement, on verra d’autres personnes travailler dans leur coin sans jamais communiquer sur leur travail, ce qui, à terme, peut tout aussi bien les démotiver (manque de retours, manque d’encouragements, etc).

Comme précipitation, on compte aussi la ruée vers l’élaboration d’un site web qui fasse la présentation du projet alors qu’on n’a quasiment rien pour l’alimenter (il faut tout de même être à un stade avancé pour que ça devienne rentable) et qui finira par être abandonné. Ou encore la ruée vers le recrutement de coéquipiers pour former l’équipe la plus fournie possible. Sauf que, pour un visual novel comme pour autre chose, il est inutile de contacter des personnes oeuvrant à des points trop éloignés de la création. Par exemple recruter à la fois un scénariste (pour moi ça compte comme préproduction mais c’est à débattre), un dessinateur, un compositeur, un programmeur (production) et un bêta testeur (post-production). Dam’s en parle mieux que moi sur son propre blog (la question de « l’organigrammite »), allez donc lire ses articles si vous voulez approfondir le sujet. Toujours est-il que recruter trop de monde tout de suite est nuisible parce qu’une équipe vaste est toujours plus difficile à gérer qu’un petit groupe. Le seul contre-exemple en la matière (qui sert malheureusement d’exemple à des créateurs qui n’ont probablement pas visualisé le problème) est Katawa Shoujo qui a réussi à être mené à bien avec une grande équipe mais dans le sang, la souffrance, et avec un bon paquet d’années de développement. Ceux qui lisent mon blog savent ce que je pense du résultat…

Conceptualisation

Mais finalement, le type d’erreurs le plus ennuyeux est sans doute les erreurs de conceptualisation, des erreurs qui sont présentes dès le début. Quand on commence à écrire, on a souvent l’impression que ce qu’on invente et génial, super original, et qu’il ne faut surtout pas en parler de trop en public, au risque de se faire piquer ses idées (personnellement, je reste secrète sur mon script mais c’est surtout parce que j’ai un peu honte d’en montrer le contenu…). Sauf qu’au début, majoritairement lorsqu’on a encore trop peu d’expérience dans l’écriture, on a surtout à l’esprit un grand modèle qu’on cherche à imiter « mais en mieux », on cherche à réaliser le jeu de nos rêves. D’où pléthore de projets sur Lemmasoft qui possèdent un nom en japonais (récemment le titre « Saigo no Chansu » a attiré mon attention), ce qui, à mon avis, peut être le symbole d’un manque de personnalité, et mettent en scène des adolescents dans un lycée japonais.

Or à mon sens, on n’écrit pas une histoire parce qu’on veut plaire à un certain public ou parce qu’on aime lire ce genre de choses, on écrit une histoire parce qu’on veut la raconter, absolument, et que c’est ce qui nous motive à poursuivre. Le visual novel n’est pas très éloigné de son cousin le livre de papier sur ce point. Le problème avec le concept de créer le jeu de ses rêves, c’est qu’au final, on pourra rarement élaborer un « Clannad / Higurashi / Tsukhime / Narcissu / Katawa Shoujo » (rayez la mention inutile) en mieux avec des moyens amateurs. Et que c’est démotivant de n’avoir qu’une version cheap de notre œuvre préférée (évidemment japonaise, sinon « japonaisante », comprendre « qui utilise toujours la culture japonaise comme toile de fond ») à proposer. D’où l’intérêt d’arriver à s’émanciper des clichés japonais pour gagner davantage de liberté d’expression. Et puis, pourquoi se forcer à parler d’un sujet qu’on ne connaît bien souvent qu’à travers la japonimation, quand on peut parler d’un sujet qui nous touche de près dans notre vie quotidienne ? Je suis toujours immensément déçue quand je vois que les créateurs amateurs de VNs intègrent toujours le même sempiternel background. C’est un poil le cas dans Katawa Shoujo (qui aurait pu se passer dans un autre pays que le Japon) mais ça l’est surtout pour un jeu comme Shira Oka qui ressemble à une sorte de dating sim fade et édulcoré alors qu’il partait sur un concept prometteur.

Ultimement, le problème n’est pas tant les stéréotypes japonais que ce qu’on en fait. Tout est stéréotype et la recherche absolue d’originalité m’apparaît comme une chimère. En voulant à tout prix être original, on ne fait que foncer dans un cliché autre que celui qu’on voulait éviter. L’important c’est la réalisation ; la façon dont on s’approprie le stéréotype pour en livrer une vision personnelle. Sauf que peaufiner la réalisation, eh bien, ça demande un sacré boulot.

On en revient un peu à ce fameux gouffre entre conception et réalisation. Tout le monde a en soi tout un univers qui ne demande qu’à être exploité, mais seule une petite partie de la population sait réellement l’utiliser (les artistes), ce qui exige qu’on s’arme de patience, mais pas seulement : ça s’apprend. Et pour apprendre, il faut se vautrer. Souvent. Et savoir en retirer quelque chose à chaque fois. Ou alors analyser les erreurs des autres pour essayer de limiter la casse le plus possible. L’air de rien, ce n’est pas si facile…

Helia