Récemment sur Twitter, Heiden, une autre développeuse, m’a demandé si je pouvais décrire d’où je tire mon inspiration pour écrire et ce qui me motive à écrire. C’est un peu compliqué dans mon cas mais la question est suffisamment intéressante pour que je me penche dessus !
Inspiration : un joyeux patchwork
Pour commencer, selon les projets je puise dans des sources extrêmement diverses et a priori incompatibles : littérature classique, contes, dessins animés, B.D, films, jeux-vidéo, anime, visual novel, mythologie, etc. J’en ai déjà évoqué quelques unes mais voici une liste un peu plus exhaustive.
Pour Being Beauteous, je me suis surtout basé sur la version de Disney et particulièrement sur le passage de la chanson d’amour (cf genèse), en imaginant comment la romance entre les deux protagonistes pourrait fonctionner sans son catalyseur principal. Et aussi ce qu’il y a après le « happy end habituel, comment évolue la relation, ce qu’il se passe si les personnages vieillissent. Le travail a surtout consisté à appliquer ma vison des choses à une itération que je n’apprécie pas particulièrement. Pour être honnête, BB est en réalité au moins ma 2e ou 3e réécriture de Cendrillon. L’autre idée qui me trotte dans la tête depuis des années implique une Cendrillon narcoleptique. Aussi, BB est surtout né à une période où je découvrais les affres des sentiments : vous pourrez difficilement tirer plus romantique de ma part et le résultat est quand-même doux-amer =’).
Ambre est mon projet court aux influences les plus variées : comme déjà évoqué dans ma genèse, j’ai puisé dans un chapitre de World War Z de Max Brooks que m’a décrit mon colocataire (celui de la petite fille survivante de l’apocalypse), dans la chanson Moment 4 Life de Nicki Minaj qui illustrait à mon sens parfaitement le complexe de Cendrillon, mais aussi dans un fait divers romancé par un avocat français (Rien n’est jamais juste, de Maître Mô).
Plus étrangement, je me suis inspiré d’une comédie romantique dont j’avais simplement vu l’affiche dans une gare en prenant le train en 2012. En gros, c’est l’histoire d’un couple heureux qui bascule lorsque la fille perd la mémoire, revenant plusieurs années en arrière avant de rencontrer son mari. Et je me suis tout simplement demandé ce qui se passerait si mon conjoint se retrouvait face au même problème. Ayant vécu pas mal de choses dans ma vie, la réponse varie selon la perte de mémoire et mon comportement diffère radicalement. A une époque notamment, j’étais obsédée par l’idée d’être normale et j’ai essayé de tuer celle que j’étais pour correspondre à ce que l’on attendait de moi. J’ai beaucoup souffert de ces tentatives maladroites et ça a nécessairement marqué celle que je suis aujourd’hui. Durant cette période noire, j’ai notamment essayé de trouver des repères en me basant sur les médias populaires dont on abreuve les jeunes (télévision, cinéma, radio, magazines féminins) pour savoir comment je devais me comporter. Avec le recul, le résultat était foncièrement ridicule et maladroit, mais je tentais sincèrement de correspondre aux attentes de la société. Je ne souhaite à personne de passer par là… Ambre est donc une espèce de fiction de ce que j’aurais pu devenir si je n’avais pas craqué sous la pression et décidé de suivre ma propre voie.
Inspiré de faits réels :p
Pour How visual novel changed my life, je n’ai aucune inspiration dans la mesure où c’est un collage remanié de discussions IRC réelles ;). On peut considérer que tous les membres de l’équipe l’ont écrit !
Concept art représentant La métamorphose de Kafka (@Eolyus)
L’idée de base de Garden of Oblivion était de crée une sorte de Yume Nikki scénarisé avec des éléments de point & click. Malheureusement le concept n’a jamais vraiment pu aller plus loin. Du reste, on peut considérer que tous les autres éléments sont également issus de mon expérience personnelle : la volonté de se retirer dans un monde imaginaire idéal, le fait de ne pas se sentir en adéquation avec la société, l’incapacité à prendre une décision menant à une lutte intérieure, etc. D’ailleurs les animaux parlants, dont on m’a dit qu’ils rappelaient trop Dreaming Mary, sont quasiment tous des peluches que je possède actuellement ou possédais jeune et représentent ma relation avec mon enfance.
Concept art de Hassan (@Kinect)
Wounded by Words est plus compliqué dans la mesure où il ne s’inspire que du réel. Je me suis basée sur des témoignages pour représenter Gabriel et Hassan (vu que ce sont des perspectives que je maîtrise moins bien) mais globalement tous les personnages ont le même problème, qui est quelque chose que je traverse actuellement : la difficulté à aller de l’avant quand on ne fait pas partie de la vision dominante. En tant que femme handicapée, je dois souvent galérer pour faire la même chose que les autres et je reste mal perçue même dans ma propre famille. C’est un sentiment très compliqué et profondément décourageant que je voulais partager pour expliquer un peu ce que je ressentais. D’ailleurs, Dave est uniquement là pour incarner ce regard extérieur blessant auquel font face les autres dans la vie de tous les jours et le personnage est basé à la fois sur mon ancien directeur de stage et plusieurs membres de ma famille. Surtout mon père, en fait. Désolée si tu me lis, papa, mais tu es vraiment comme ça et c’est insupportable…
Ceci n’est pas un harem…
Milk~La légende des étoiles étant un projet encore plus colossal que tous les autres réunis, les inspirations sont encore plus variées et diffèrent selon les segments. La partie « harem lambda » est bien sûr tiré des charage/moege que je voulais complètement réadapter à ma sauce parce qu’ils ne me conviennent pas en l’état actuel des choses. Dans ma vision, le héros n’est qu’un catalyseur, c’est l’histoire de l’héroïne concernée qui est au premier plan, et notamment sa dimension psychologique. Toutes les héroïnes sont d’ailleurs très fortement inspirées de fragments de ma personnalité (comme le héros, d’ailleurs). Je me suis donc beaucoup inspiré de Yume Miru Kusuri. L’ironie c’est qu’à l’époque où j’ai écrit Milk, il s’agissait un peu d’une fiction imaginant ce qui se passerait si je venais à tomber amoureuse. Et je me connais tellement bien que certains fragments de l’histoire me sont ensuite réellement arrivés…
Extrait de l’artbook Croisée des Horizons (@Orties)
La partie dédiée à Khzi était à la base un gros délire basé sur tous les clichés des romans d’aventure et de fantasy possible et imaginable. J’ai essayé de m’en moquer et de pousser l’absurde jusqu’au bout. Khzi en elle-même devait être un personnage de tueuse super sérieuse et super classe à la base (car j’adore ce type d’héroïne) mais j’ai préféré en faire quelqu’un de foncièrement imprévisible comme Yumiko de Read or Die. La tueuse super sérieuse et super classe est donc devenue Freyja.
La partie Légende des étoiles, pas encore sortie, est pas mal inspiré par la BD Thorgal, la série Ulysse 31 et la mythologie en général.
Inspiration : une autre perception du monde
De manière générale, j’ai une relation compliquée avec l’écriture dans la mesure où je n’ai pas d’auteur dont je pourrais être fan, je pioche vraiment des éléments un peu partout dans tout ce que j’ai pu assimiler au fil du temps. Plus bizarre encore, je pioche parfois des éléments dans ce que je ne connais pas directement : j’aime beaucoup accumuler des connaissances sur des sujets divers et variés, donc il m’arrive de connaître des œuvres indirectement sans les lire ou les voir. Du coup je peux m’en inspirer uniquement à partir de l’idée que je m’en fais.
Menu des chapitres actuel de Milk~La légende des étoiles
Je pars du principe qu’il est impossible au XXIe siècle d’inventer de la matière première de toutes pièces: tout a finalement déjà été pensé par quelqu’un d’autre. Pour moi l’écriture est plutôt une forme d’alchimie: je combine une grande quantité d’éléments de sources différentes en rajoutant ma touche personnelle pour former un tout cohérent et je pense que c’est dans ce mélange d’influences que réside l’inventivité. Par exemple, l’histoire de Cendrillon existe déjà, mais c’est la vision que je peux en donner qui est potentiellement intéressante. Ce n’est pas tant l’idée de base qui importe que son exécution !
A partir de là, je me repose pas mal sur la rencontre entre ces éléments variées et ma perception du monde décalée. Ayant une manière de penser assez unique, j’ai l’impression que je peux écrire uniquement en m’appropriant un sujet.
Motivation : bouteille à la mer
J’ai beaucoup lu dans mon enfance et par le passé, mais je n’ai jamais réussi à trouver une œuvre qui me corresponde vraiment, sauf peut-être vaguement dans le domaine de l’animation, plus propice à l’expérimentation. Déjà, en tant que femme, c’est pas toujours facile d’être représentée dans la mesure où la quasi-intégralité de la littérature classique ou actuelle n’évoque que des préoccupations masculines ou une vision stéréotypée de la femme (chaussures, shopping et prince charmant, yay). Mais en plus, en tant qu’autiste, ma façon de penser n’est jamais abordée, ce qui fait que je ne me sens pas vraiment concernée par la majorité des productions culturelles actuelles. Heureusement qu’il y a des perles bien cachées valant le coup d’être découvertes mais disons que je ne suis pas aussi bien lotie que d’autres qui trouveront plus facilement leur bonheur. Vous pourrez chercher très longtemps, vous trouverez difficilement une histoire mettant en scène un autiste en personnage principal qui ne soit pas à visée explicative sur l’autisme. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’œuvres neurotypiques intéressantes, on est bien d’accord, mais seulement que mes goûts ne sont pas les goûts majoritaires. C’est bien pour cela que je suis intéressée par le jeu-vidéo indépendant : j’espère y trouver plus de diversité qu’ailleurs.
Fort égoïstement, ce qui me motive à écrire est d’essayer de créer des œuvres susceptibles de me plaire. Vu que j’ai du mal à trouver des histoires qui me ressemblent, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de les faire moi-même. Si mes productions arrivent à satisfaire à mes exigences assez particulières, j’en suis relativement contente, et ça me ferait très plaisir si d’autres venaient à se retrouver dans ce que j’écris et dans ma façon de pensée. Cela voudrait dire que je ne suis pas vraiment la seule à avoir ces goûts et que je peux, d’une manière ou d’une autre, être utile à ma manière. On peut considérer que j’envoie une bouteille à la mer : je transmets une partie de moi-même dans mes jeux dans l’espoir que peut-être, quelqu’un, quelque part, tombe dessus et se reconnaisse, y trouve de l’intérêt.
Capture d’écran de l’Episode 5 de Milk, en cours de développement
Je ne sais pas ce que d’autres développeurs tentent de transmettre en se lançant dans la création de jeux-vidéo mais pour ma part, tout renvoie un peu à mon handicap : c’est à la fois mon inspiration, ce qui me pousse à écrire, ma malédiction et mon cadeau. Je n’aurais pas autant envie de me battre si je n’avais pas une voix différente à faire entendre, mais je n’aurais pas autant de mal à percer si je n’avais pas une voix différente à la base. J’aimerais que les personnes différentes puissent avoir accès à autant de contenu susceptible de leur plaire que les autres. Si une Helia enfant/ado est en mesure de trouver chaussure à son pied sans galérer, alors j’aurais accomplis ma mission. La route est encore longue d’ici là ;).