Avant de créer un visual novel : Apprendre à se rendre utile

Il y a quelques années, j’avais essayé de faire quelques billets sur la création de visual novel pour aider ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure. Or, entre temps beaucoup de choses ont changé : non seulement j’ai gagné en expérience mais le marché lui-même a énormément évolué. Il est devenu, peut-être pas plus difficile, mais bien plus décourageant. C’est donc avec une petite dizaine de sorties sous la ceinture que je compte reprendre la plume pour pondre un guide, je l’espère, plus complet et remis au goût du jour. Mais avant ça, commençons par une étape préliminaire trop souvent oubliée.

Chronotopia sneak peek4

J’en profite pour donner des nouvelles de Chronotopia : voici quelques essais d’Anako pour le personnage de la fée ~

C’est décidé, vous souhaitez vous lancer dans la création de visual novel. Après en avoir lu quelques uns, vous êtes attirés par le concept et vous avez probablement très envie de concrétiser toutes les super idées que vous avez en tête depuis quelques temps. Vous avez entendu dire que ce n’est pas très compliqué (vu qu’il n’y a pas besoin de grosses compétences en programmation), bien plus facile que n’importe quel autre jeu-vidéo même, et vu le succès actuel de certains titres, vous êtes persuadés que vous pourrez même un jour gagner de l’argent.

Quelques idées reçues
Avant même de vous plonger dans l’aventure, il serait peut-être bon de revenir sur certains mythes. Pour commencer, un visual novel n’est pas forcément si évident à produire ! Certes, en utilisant des outils comme RenPy ou TyranoBuilder, vous vous facilitez la vie pour tout ce qui touche à la programmation mais c’est en fait trompeur. En effet, le propre du visual novel est que l’expérience est terriblement statique, au contraire de n’importe quel autre type de jeu où le joueur pourra se déplacer à sa guise, explorer et chercher les solutions à des problèmes (des énigmes). Du fait de cette absence de gameplay, le visual novel peut se concentrer pleinement sur le développement d’une histoire mais, en contrepartie, cela peut poser des problèmes d’immersion. A moins de percevoir les images comme des aides symboliques à l’imagination, le développeur est encouragé à multiplier les ressources (expressions des sprites, nombre de décors, illustrations ponctuelles, légères animations) pour casser l’aspect statique de l’expérience. Or, c’est bien la multiplication des graphismes qui coûte cher et qui ralentit le processus de création. Le visual novel est donc avantagé dès qu’il s’agit de programmation (quasiment pas de bugs à corriger) mais ça ne veut pas dire que c’est facile pour autant !

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RenPy est facile pour de la programmation de base mais, évidemment, tout effet un peu plus complexe demandera davantage de compétences. Comme pour ce décor. Je vous redirige vers mon dernier tuto pour en savoir plus ;)

Une autre idée reçue c’est que vous devez forcément respecter certaines règles de style ou de structure pour intéresser le public lecteur de visual novel. Au hasard écrire une romance entre des lycéens dessiné dans un style manga et incluant des scènes érotiques. Ne vous laissez pas enfermer ! Après tout, c’est en faisant ce qui vous plaît que vous serez le plus motivé, et vous aurez bien besoin de cette motivation. N’hésitez pas à briser les coutumes, car c’est comme cela que le média pourra grandir et s’élargir : si tous les créateurs répètent la même formule, ça bride leur créativité et ça tue dans l’œuf toute possibilité de changement. N’ayez donc pas peur d’essayer de nouvelles choses !

Le miroir aux alouettes
Maintenant que vous savez dans quoi vous vous embarquez, vous avez très envie d’enchaîner sur le projet de vos rêves directement. Malheureusement, c’est une très mauvaise idée. Comme vous êtes débutants, vous avez forcément de grosses lacunes et, même en étant bien renseigné, seule la pratique pourra réellement vous faire progresser. Or, si vous vous lancez sur un gros projet (s’il n’est pas gros au départ, il va le devenir), le gain d’expérience au fil du temps va vous donner envie de tout refaire en fonction des nouvelles compétences engrangées ou de rajouter des éléments (on appelle ça le feature creep et c’est le pire ennemi de tout développeur) et vous n’en verrez jamais la fin. Et je ne parle pas de la responsabilité que ça représente, ni des problèmes inhérents à la gestion d’une équipe. Il est dans votre intérêt d’expérimenter sur des petits projets pour gagner confiance en vous et gagner en expérience jusqu’à ce que vous vous sentiez prêts. Certains créateurs un peu suicidaires ont déjà lancé un Kickstarter pour leur premier projet/le projet de leurs rêves et ont eu le malheur de réussir. On pourrait croire que c’est une chance mais leur manque d’expérience conduit souvent à de gros problèmes d’organisation qui peuvent transformer le rêve en cauchemar. Je pense par exemple à Driftwood, lancé en avril 2013, qui est sur le point de sortir une nouvelle version de la démo suite à des changements d’artiste et qui n’a même plus assez d’argent pour faire du jeu complet une réalité. Passer trois ans de sa vie sur une simple démo en jonglant avec petit boulot (il faut bien financer le projet) et études me semble alarmant. Certains projets réussissent tout de même mais à quel prix ? J’ose à peine imaginer l’état de burnout des équipes. Si vous n’êtes toujours pas convaincus, je vous recommande la lecture d’un article d’Auro-Cyanide, une artiste extrêmement prolifique et très connue dans le milieu du visual novel pour ses nombreuses contributions. Et malgré un passif aussi solide, elle aussi s’est embarquée dans un gros projet dont elle a fini par avoir hâte de se débarrasser.

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Le grand méchant Feature Creep, un fléau bien connu des développeurs

Tout ça pour dire que, même si ça vous brûle les lèvres, gardez le projet de vos rêves dans un coin en attendant d’avoir plus d’expérience. Le délai occasionné ne pourra que l’enrichir (vous aurez de nouvelles idées en chemin) et vous permettra de progresser d’un point de vue personnel. Ça peut paraître stupide mais l’être humain a parfois besoin de gratifications simples. Rester coincé sur la même chose pendant des années est déprimant et le fait de finir plusieurs projets très courts ne pourra que renforcer votre motivation…ou peut-être vous révéler que vous n’êtes pas faits pour le développement de jeux-vidéo. Et quitte à se tromper, autant ne pas se tromper après avoir empoché des milliers de dollars via Kickstarter, si vous voyez ce que je veux dire.

Let’s jam!
Vous avez décidé d’être raisonnable et de suivre le conseil numéro un du monde du visual novel : commencer petit. Seulement voilà, vous avez besoin d’une occasion pour progresser. Les gamejam sont parfaites pour les débutants car elles permettent de fixer un cadre qui favorise la création.

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Florilège de VNs réalisés à l’occasion du Ludum Dare 30, dont Garden of Oblivion

Personnellement, je vous conseille de vous concentrer sur une ou deux compétences, pas plus, et de tenter l’expérience, seul ou en groupe, pour vous perfectionner. Seul, ce sera un défi personnel et l’opportunité de maîtriser les bases de la création de A à Z. En groupe, ce sera l’occasion de tisser des liens avec d’autres développeurs comme vous et d’approfondir les compétences choisies. Chaque cas de figure vous apporte son lot d’enseignements :

  • Etre seul est très gratifiant pour vos compétences personnelles mais ça vous permet aussi de constater vos propres limites et d’accepter le fait d’avoir besoin d’aide dans un domaine précis. Les individus talentueux à la fois en écriture, en dessin, en composition et en programmation étant extrêmement rares, autant ne pas vous voiler la face : si vous souhaitez progresser, vous aurez besoin de travailler avec d’autres personnes à un moment ou à un autre.
  • Etre en équipe peut se révéler frustrant, surtout au début et selon le hasard des rencontres, mais ça vous apprendra justement à quel point la gestion d’équipe est difficile. Et la mise en commun de talents vous permettra d’aller bien plus loin que si vous étiez seuls, ce qui est gratifiant d’une toute autre manière.

L’autre avantage d’une gamejam c’est que le résultat ne ment pas. Si vous êtes incapables de finir un projet court en temps limité, vous serez incapable de finir un gros projet avec une équipe plus conséquente et des enjeux supérieurs (si c’est un projet commercial, par exemple). Cela ne veut pas dire que vous devez forcément tout plaquer pour aller cueillir des fraises en Tanzanie, juste que vous n’êtes pas encore prêts. Vous avez peut-être vu trop gros ou négligé un aspect précis, toujours est-il qu’il vaut mieux enchaîner les gamejams jusqu’à ce que vous vous sentiez suffisamment à l’aise pour lancer votre propre équipe ou ce fameux projet de vos rêves.

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Un projet en apparence simple se révélera trop souvent bien plus gros que prévu…

Petit aparté : Il y a quelques années, ce conseil n’aurait été valable que pour les dessinateurs et les musiciens mais avec l’expansion du marché du visual novel, les scénaristes et les programmeurs sont désormais de plus en plus recherchés. Ce constat s’explique assez paradoxalement dans le fait qu’une fois qu’une équipe gagne en expérience, le chef de projet passera tout son temps à la diriger et superviser les différents projets en court, ce qui fait qu’il pourra de plus en plus difficilement s’occuper de ces tâches là et qu’il finira par les déléguer. Donc, même si vous êtes un apprenti scénariste/codeur, vous avez vos chances !

L’étape manquante
Mettons que vous avez suivi ce conseil à la perfection : après vous être renseignés sur les créateurs de visual novel actuels et les gamejam adaptées au format narratif (en gros, vous vous êtes inscrits sur Lemmasoft et vous suivez des développeurs sur Twitter), vous avez rejoints des camarades pour plusieurs visual novel collaboratifs. Ces expériences vous ont permis d’expérimenter et de vous trouver artistiquement parlant : vous savez désormais ce que vous pouvez faire et ne pas faire, quels sont vos points forts et vos points faibles, bref, vous avez paradoxalement bien plus avancé que si vous aviez démarré un gros projet tout de suite.

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Le Nanoreno est la gamejam idéale pour vous lancer dans les visual novel !

Par le passé, je vous aurais immédiatement renseigné sur la mise en pratique et j’aurais sauté  cette étape préliminaire pourtant nécessaire. Parce qu’au fond elle vous permet d’apprendre à vous rendre utile. Si vous travaillez en solo, sans surprise vous avez forcément besoin d’un maximum de compétences, même si les ressources libres de droit dépannent bien. Et si vous songez à monter une équipe, inutile de dire que ça vous crédibilise : en effet, les artistes expérimentés sont souvent méfiants face aux chefs de projet n’ayant aucune expérience parce qu’ils n’ont tout simplement pas envie que leur travail parte à la poubelle au bout de quelques mois. Tout l’argent du monde n’effacera pas complètement le besoin de gratification dont je parlais tout à l’heure.

Bref, maintenant que vous avez finalisés quelques petits jeux et, ragaillardis, vous vous sentez prêts pour le grand saut. La vraie aventure commence. Accrochez votre ceinture, vous n’avez encore rien vu !

En attendant le vrai début de ce guide, qui arrivera je ne sais quand, je vous rappelle que Wounded by Words est disponible gratuitement en français, sur ordinateur et mobile ~

6 commentaires sur “Avant de créer un visual novel : Apprendre à se rendre utile

    • Ca a l’air évident comme ça mais on se fait tous avoir à un moment ou à un autre, moi la première X).

  1. Bonjour, j’essaye de crée un visuel Novel depuis quelque temps, j’ai quelques idées mais, j’aimerais savoir si il y a de bon sites ou logiciels pour crée ses propre personnages, car je n’aime pas le disgn des personnages déjà proposer et que je ne veux pas prendre un personnage existent dans un anime. Merci d’avance si vous répondez à mon commentaire.

    • Bonjour,
      Je ne suis pas sûre de comprendre ce qui te freine : à partir du moment où tu ne disposes pas d’une direction artistique propre, il y aura toujours une chance pour que les ressources que tu utilises (quelle que soit la provenance) se retrouvent dans un autre jeu. Je comprends que l’idée d’avoir des images hétérogènes ne fasse pas très envie mais si ton projet est un projet amateur fait pour t’entraîner, tu auras toujours le loisir de le refaire en mieux plus tard si le cœur t’en dit !

      Pour répondre à ta question, il existe effectivement pas mal de possibilités pour créer ses propres personnages :
      • Niveau logiciel tu as Comipo qui coûte 50€ et qui est très couramment utilisé pour les projets de type manga : http://store.steampowered.com/app/262490/?l=french
      • Tu peux aussi acheter des packs dits préfabriqués (qui se modifient avec un logiciel d’édition graphique) comme celui de BlueForest sur DLSite (http://www.dlsite.com/eng/circle/profile/=/maker_id/RG03191.html). Tokudaya en proposent quelques uns gratuitement mais ils sont moins modulables, il me semble (http://tokudaya.net/).
      • Sinon tu récupères aussi une bibliothèque de ressources lorsque tu achètes TyranoBuilder (http://store.steampowered.com/app/345370/?l=french) qui est un logiciel pour créer des VNs directement. Mais la meilleure solution à mes yeux reste de regarder sur Lemmasoft : il y a vraiment de tout et c’est disponible gratuitement (pareil pour les décors et les interfaces) : https://lemmasoft.renai.us/forums/viewtopic.php?f=52&t=27774#p346815.

  2. Article très intéressant, surtout la partie sur le feature creep qui représente un phénomène très recurrent.
    Honnêtement, je suis en train de créer mon propre visual novel et l’apprentissage du python pour la programmation n’est pas très difficile. Le seul problème que je rencontre c’est les bruitages. Trouver les bruitages que je veux en licence libre destinée à des fins commerciales se montre assez complexe.

    En tout cas, merci pour cet article très instructif.

    • Merci à toi. J’ai bon espoir que mes erreurs et celles des gens que je côtoient serviront à ceux qui veulent se lancer. Le feature creep est un veritable fléau =’).

      J’avais du mal à en trouver des bons aussi jusqu’à ce que je tombe sur Freesound.org : tu es obligé de te créer un compte pour télécharger mais en échange il y a vraiment pas mal de choix. N’oublie juste pas de sélectionner ‘Creative Commons 0’ pour n’avoir que des bruitages libres de droit !

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