Ce que la création de visual novel m’a appris

Aujourd’hui j’aimerais revenir sur les différents jeux de l’équipe pour en commenter la progression.

En effet, même si cela a tendance à changer avec la multiplication des accès anticipés, on ne touche souvent qu’à la version finale d’un jeu, c’est-à-dire à sa version la plus complète et la plus aboutie. Un joueur lambda aura donc l’impression qu’une certaine force magique est à l’œuvre, que les différents éléments du jeu se sont combinés grâce à une pierre d’évolution pour se transformer en une œuvre d’art. La réalité est nettement moins glamour mais aussi infiniment plus rassurante : la création ça s’apprend et il faudra un sacré paquet de temps avant d’arriver à un résultat. La mauvaise nouvelle c’est que ça implique énormément de travail, la bonne nouvelle c’est que n’importe qui peut se lancer dans l’aventure. La Träumendes Mädchen ne fait pas exception à la règle et c’est d’autant plus vrai pour moi, puisque j’ai le rôle de chef de projet. Ces bientôt trois ans au contact de mes coéquipiers m’auront appris une quantité assez impressionnante de choses, notamment en programmation, et j’aimerais donc en dresser le bilan.

 

Juin 2012 : Being Beauteous

Un des premiers essais de Morsy. Elle a diablement progressé depuis!

A ce moment là, l’équipe était déjà formée autour de Milk et pataugeait sévèrement dans la semoule. J’avais conscience de brûler les étapes en attaquant d’emblée un projet aussi gros et cherchait à me rattraper avec une idée courte, est donc née la première version de Being Beauteous, prévue comme participation au concours de visual novel de No-Xice. Même s’il ne payait pas de mine, BB a une place toute particulière dans mon cœur puisqu’il s’agit de notre premier projet achevé (ce qui avait bien boosté notre moral). Si le cœur du jeu est assez simple (du texte et une poignée de CGs), la création d’une interface personnalisée nous avait donné maille à retordre durant la compétition et ce n’est qu’avec la seconde version (la toute première téléchargeable) que nous avions réussi à maîtriser ce point. Nous avions aussi doucement réalisé l’importance de disposer d’une traduction pour partager notre œuvre avec les nombreux lecteurs de Lemmasoft et d’ailleurs.

Apprentissage : finir un projet, coder une interface sans bug, comprendre l’importance d’une traduction anglaise.

 

Février 2013 : Premier épisode de Milk

Un autre essai de Morsy pour Milk, ces variations n’ont finalement jamais été intégrées.

L’accouchement du premier épisode de Milk était à l’époque un véritable calvaire puisque nous avions mis près d’un an pour en voir le bout. Il faut dire qu’il y avait beaucoup de contenu à gérer pour une équipe aussi jeune et que j’ai vite compris qu’il nous serait impossible de réaliser l’intégralité du jeu prévu à l’origine en un seul morceau. D’où le choix de faire de la démo un premier épisode. Ca a également été l’occasion pour moi de vraiment me familiariser avec Renpy, de choisir une police personnalisée et de jongler entre les nombreux personnages aux nombreuses expressions. La présentation de Milk était vraiment simple et il y avait vraiment beaucoup de maladresses mais je pense que c’était un passage obligé pour la suite. La plupart des erreurs ont été corrigées (l’interface) ou sont en attente de correction depuis (*tousse* le scénario). A noter que cette fois-ci, nous avions opté pour sortir le visual novel à la fois en français et en anglais, non sans douleur.

Apprentissage : écrire un visual novel, finir un plus gros projet (sans mourir), dessiner une interface, traduction anglaise simultanée, gérer les sprites et expressions.

 

Avril 2013 : Ambre

On comprend mieux pourquoi l’illustration du jeu est de Melow et pas de moi 8)

Une fois la sortie du premier épisode derrière nous, je voulais absolument me frotter au défi de tous les créateurs de visual novel : le Nanoreno. Ce n’était pas vraiment un défi technique pour moi puisqu’il s’agissait, une fois de plus, d’une œuvre très linéaire. Certes, la limite de temps imparti faisait partie du jeu mais le visual novel était à mon sens pensé pour ne pas être trop gourmand. Non, le vrai défi pour moi c’était d’arriver à écrire une histoire courte avec une sorte de chute, un élément marquant. Et même si le résultat est loin d’être parfait, je suis relativement satisfaite de ma production, je pense que l’effet voulu est là. Ambre aura également l’occasion de faire des progrès en matière d’interface et d’inclure pour la première fois une touche d’animation (non, le logo qui tourne de Milk ne compte pas) avec la scène des pétales de fleurs et la tentative des feuilles mortes. Des éléments que l’on retrouvera immédiatement après.

Apprentissage : écrire un visual novel en prenant en compte les limites de ressources, finir un projet vite, dessiner une belle interface, écrire une histoire courte disposant d’une chute, participer à un évènement.

 

Mars 2014 : Deuxième épisode de Milk

Un très joli croquis d’Elairin

Il nous aura fallu un peu moins d’un an une fois encore mais pour des raisons très différentes, notamment les changements dans l’équipe. Ce deuxième épisode aura surtout servi à entériner les acquis du premier. Beaucoup de projets ne dépassent jamais le stade de la démo, sortir une nouvelle partie de l’histoire était donc en soi un symbole, il était question de prouver que nous comptions persévérer. Nous en avions profité pour remplacer l’interface par une nouvelle (une tâche plus ardue qu’on ne l’imagine !) et intégrer des décors animés pour la toute première fois. Certes, il n’y en avait que 2 ou 3, mais c’était une manière de se familiariser doucement avec le processus.

Apprentissage : continuer un projet entamé, inclure des décors animés, renouveler une équipe

 

Avril 2014 : HVNCML

Premiers essais d’interface de Xian

Une fois encore, je voulais tenter le Nanoreno, et une fois encore la production de Milk a tardé. Si en 2013, nous étions parvenus à finir in extremis deux semaines avant le début du concours, cette seconde tentative a été bien plus laborieuse puisque l’épisode est sorti en plein milieu ! Difficile dans ces conditions d’assurer. C’est après une bonne semaine de retard qu’HVNCML a vu le jour. Je n’ai écrit aucun bilan du jeu parce que j’estime que le jeu lui-même est une espèce de bilan de notre parcours, présenté sous un angle humoristique bien sûr. A ce moment-là, HVNCML était notre premier défi purement technique puisque l’objectif plus ou moins avoué du projet était de tenter une interface de type « IRC » sans qu’il y ait forcément de but prévu à son utilisation. Sauf si on considère que rendre publique une partie, même infime, de sa vie à tout lecteur potentiel représente un défi supplémentaire. Et d’une certaine manière…c’est vrai. Le visual novel était planifié comme un bonus rigolo pour les fans qui se demandaient ce qu’on pouvait bien faire en réunion ou au quotidien, pourtant plusieurs personnes l’ont essayé sans rien savoir de la TM. C’est assez embarrassant, un peu comme si on se mettait à nu devant des étrangers. La démarche supposait donc une réelle relation de confiance avec le public.

Apprentissage : jongler entre plusieurs projets en même temps, tester une interface de type « IRC », révéler à la face du monde sa stupidité

 

Juillet 2014/Septembre 2014 : Troisième épisode de Milk

La marque de fabrique d’Orties : écrire n’importe quoi sur ses dessins :p

Le troisième épisode de Milk fait vraiment figure d’exception à l’échelle de tous nos travaux sur un point crucial : c’est le seul jeu qui est sorti « facilement ». C’est-à-dire que nous n’avons éprouvé aucune difficulté particulière à le produire (si on omet un petit couac au niveau de la traduction anglaise qui n’était pas prête tout de suite). Si tout pouvait se passer comme ça, la création serait vraiment trop facile XD. C’est d’autant plus surprenant quand on prend en compte la pression qui pesait sur nous dans la mesure où nous avions promis l’épisode aux acheteurs de la Japan Expo. Le troisième épisode aura aussi été l’occasion de généraliser l’animation à tous les décors pouvant convenir.

Apprentissage : tenir un délai non négociable, généralisation de l’animation sur les décors, sortir un jeu de manière décontractée

 

Août 2014 : Garden of Oblivion

Une métaphore du Ludum Dare relativement juste…

Dans la lignée débutée par HVNCML, Garden of Oblivion était pensé comme un défi technique : il s’agissait de délaisser le visual novel traditionnel pour inclure des éléments « point & click ». Le tout dans un délai bien plus resserré que le Nanoreno (qui paraît une balade de santé en comparaison). Si la partie graphique était irréprochable, l’expérience au niveau de la programmation aura été sauvage. La première version rendue dans les temps ne correspondait absolument pas à ce qui était voulu et il faudra ajouter une semaine de labeur pour y parvenir avec la seconde version. L’autre défi était pour moi d’écrire directement en anglais et avec un minimum de préparation pour coller le plus possible à l’esprit gamejam. Le résultat est sur ce point plus que mitigé et j’estime que j’aurais pu faire mieux. Au moins j’aurais réussi à inclure davantage de diversité dans mes personnages, ce qui est un bon début. Reste que l’expérience communautaire était à la hauteur ! Le Ludum Dare est réellement un rassemblement gigantesque qui permet de tisser des liens.

Apprentissage : écrire directement en anglais, participer à un évènement encore plus connu, apprendre à programmer sur le tas, réaliser un hybride VN/P&C, découvrir les joies du polissage, inclure plus de diversité dans les personnages

 

Printemps 2015 (?) : Quatrième épisode de Milk

Orties aime décidément beaucoup écrire sur ses dessins…

Si le quatrième épisode de Milk n’est pas encore sorti, il est en tout cas suffisamment proche de l’être pour en tirer des conclusions. Je pense que c’est vraiment à partir de là que je commence à vraiment me sentir à l’aise avec RenPy au point où je prends maintenant plaisir à farfouiller dans le script pour améliorer ce que je peux. Cela n’aurait jamais été possible sans la prise en main progressive du moteur, projet après projet, et l’aide de Keul. La conséquence immédiate c’est que le quatrième épisode regorge de modifications : ajustement de la luminosité dans les scènes de nuit, ajustement de la taille des sprites non-humains, ajustement de la police pour plus de lisibilité, ajustement de certaines transitions pour ajouter plus de dynamisme, ajustement des effets sonores pour renforcer le plus possible l’immersion dans la scène, légères animations sur les illustrations évènementielles ou des décors. C’est donc actuellement ce dont je suis la plus fière et j’ose espérer que ces menus gadgets rendront l’expérience de lecture plus intéressante, à défaut d’autre chose. J’ai aussi commencé à demander aux artistes des présentations différentes des illustrations (objet par-dessus le décor, chibi sous forme d’encart, CG coupé en deux par l’écran, CG possédant plusieurs variations).

Apprentissage : maîtrise relative de RenPy, passer son temps à faire des modifications mineures que personne ne remarquera jamais, maîtrise l’intégration des effets sonores, expérimentations en termes de présentation.

 

Avril 2015 (?) : Ludum Dare 2

Le jeu n’ayant pas été commencé pour des raisons de logique, voici une scène de l’épisode 4 de Milk.

Vu que nous prévoyons de tenter le Ludum Dare une nouvelle fois, cette partie sera plus tournée vers l’anticipation puisque rien n’a encore été commencé ! Mon principal objectif est d’arriver à sortir de la linéarité qui caractérise tous nos projets jusqu’à présent. La gestion des choix est en effet très compliquée à intégrer à une histoire et mon passif en littérature fait que j’ai effectivement du mal à écrire de manière plus éclatée. C’est un défi d’autant plus ambitieux que le délai de création va être extrêmement limité mais je vais essayer de m’y tenir, quitte à sortir une version améliorée du jeu après le concours. L’autre objectif est de sortir de ma zone de confort en termes d’écriture en abordant des thèmes qui me sont chers de manière plus…frontale. En effet, tous mes travaux abordent plus ou moins le rapport que nous avons à la normalité pour le remettre en question mais ce n’est souvent expliqué qu’à demi-mots. Je veux aller plus loin et me contraindre à finalement ne plus me censurer autant. Dans cette même optique, je souhaite mettre en scène des personnages différents de d’habitude et sous-représentés. Dont les handicapés. Du reste, je compte me baser sur tout ce que j’ai appris des autres travaux de l’équipe pour faire de ce projet un jeu dont je serais fière. On va voir si ce sera réussi ou non !

Apprentissage prévu : mis à profit de tous les acquis précédemment cités, écrire un visual novel véritablement interactif avec de nombreux embranchements, faire de la diversité une composante essentielle du cast, arriver à ne pas s’autocensurer, maîtriser Reny suffisamment pour ne pas trop galérer…faire un bon jeu ?

 

Conclusion

J’avais juste envie de vous montrer un autre bout de l’Episode 4 de Milk.

Ce que montre ce petit tour d’horizon, c’est qu’il faut du temps à un individu (comme à une équipe) pour gagner en assurance et en compétences. Du temps pour se tromper, pour rectifier ses erreurs, pour acquérir un certain nombre de réflexes, pour être en mesure d’expérimenter et de déterminer où on veut aller et comment. Je n’aurais jamais imaginé prévoir le projet du prochain Ludum Dare il y a quelques années, ni même me sentir capable de le réaliser. C’est au prisme de cette démarche (par itérations successives) que les conseils des professionnels prennent tout leur sens : essayez toujours de multiplier les projets courts avant de vous lancer dans « le jeu de vos rêves ».

Chacun apprend à son propre rythme mais personne n’est capable de réaliser des miracles sans aucune expérience. Les difficultés de certains Kickstarter de visual novel sont, sur ce point, particulièrement éclairantes : quasiment tous les projets conçus par des personnes inexpérimentées (celles qui vantent leur campagne comme tant leur tout premier visual novel notamment) éprouvent de grandes difficultés à maintenir leurs promesses. De même, les successeurs spirituels de Katawa Shoujo ont quasiment tous disparus et les rares survivants sont encore bloqués au stade de la démo.

Moralité : Ne brûlez pas les étapes, commencez petit. Attendez de vous sentir prêts avant de passer à la vitesse supérieure, cela ne pourra que vous être bénéfique ;).